Les caisses de la honte
- Fanny Inesta
- il y a 7 heures
- 3 min de lecture
FESTIVAL OFF AVIGNON 2025
Théâtre le Buffon
Rue Buffon
du 5 au 26 Juillet à 11h25
Est-il encore besoin de parler du talent indéniable de Pierrette Dupoyet ? Sans doute pas. Depuis plus de quarante ans, elle tisse ce lien si singulier entre l’art et la mémoire, entre l’intime et l’universel. Inlassablement, elle parcourt les scènes du monde, portée non par la volonté de briller, mais par celle de transmettre. Missionnée par le ministère des Affaires étrangères pour représenter la culture française aux quatre coins du globe, elle a joué et continue de jouer dans vingt-deux pays, sur les cinq continents. Une comédienne sans frontière, dans tous les sens du terme. À chaque fois, elle s’efface derrière ses personnages pour mieux les révéler. À chaque fois, elle embarque le public dans une traversée sensible, documentée, habitée. Un théâtre de conviction, de passion, de fidélité aux êtres et aux mots.
Avec Les Caisses de la honte, elle poursuit cette œuvre patiente, rigoureuse et profondément humaine. Une œuvre qui ne se contente pas d’émouvoir : elle éclaire.
C’est un théâtre de chair et d’histoire, d’art et de mémoire. Dans Les Caisses de la honte, Pierrette Dupoyet fait ce qu’elle sait faire mieux que personne : révéler une figure méconnue, faire vibrer le destin d’une femme que l’Histoire officielle a trop peu célébrée. Rose Valland, fut pourtant une actrice essentielle dans la restitution de milliers d’œuvres d’art volées par les nazis. Discrète, effacée, mais d’un courage à toute épreuve.
Mais si le récit est aussi juste, aussi incarné, c’est qu’il est porté par un travail en profondeur. Chez Pierrette Dupoyet, rien n’est laissé au hasard. Elle lit, fouille, croise les sources, rencontre celles et ceux dont la probité ne fait aucun doute. Chaque mot prononcé sur scène a été vérifié, pesé et soigneusement choisi. Avant d’écrire, elle s’informe. Avant de transmettre, elle comprend. Et c’est sans doute ce qui rend son théâtre si singulier : cette capacité à s’adresser à nous comme si nous ne savions rien. Elle guide le spectateur avec bienveillance, sans condescendance, en racontant tout depuis le début. Avec passion, mais sans emphase. Avec précision, mais sans surcharge.
Donc, Rose Valland... Tout commence dans l’enfance. Un regard qui s’attarde sur les petites images de maîtres glissées dans les boîtes de chocolat. Déjà là, un amour de l’art, viscéral, indissociable de l’émerveillement. Sa mère la croit seulement gourmande ; elle est en vérité affamée de beauté!
Brillante elle deviendra attachée de conservation bénévole au musée du Jeu de Paume. Et puis la guerre éclate. Paris tombe. Le Louvre est pillé, les toiles dites par les nazis "d'art dégénéré" seront brûlées, les appartements des familles juives vidés de leurs toiles, sculptures, objets précieux. Ces œuvres transiteront par le Jeu de Paume. Et là, dans l’ombre, Rose Valland note tout. Elle observe, enregistre, sans éveiller le moindre soupçon. Elle est seule, mais elle veille. Elle est effacée, mais essentielle.
La mise en scène reste sobre, mais chargée de sens. Des caisses, des tableaux, une chaise occupent le plateau, tels des témoins muets du crime. La lumière, subtilement travaillée, sculpte le visage de Rose. Tantôt crue, tantôt tamisée, elle accompagne le basculement du monde dans la barbarie. Quant à la musique, surgissant par instants, elle rythme les tensions et enveloppe les récits les plus glaçants. Elle ajoute à l’horreur, souligne et accompagne l’angoisse, la peur, la violence sourde du vol organisé.
Et Pierrette Dupoyet vibrante, précise, touchante. Elle se glisse dans la peau de Rose Valland avec une économie de moyens bouleversante. Chaque mot qu’elle prononce porte le poids de l’Histoire. Son écriture, issue d’un long travail d’archives et d’entretiens, épouse la complexité du réel, évite les raccourcis, refuse les simplifications. Elle rend hommage. Rose Valland apparaît ici non comme une icône figée, mais comme une femme vivante, courageuse, déterminée, et surtout passionnée d’art.
Avec Les Caisses de la honte, Pierrette Dupoyet signe un théâtre du réel, un théâtre de la mémoire. Et elle le fait avec cette exigence qui consiste à ne jamais parler de quelqu’un sans s’assurer qu’on ne trahit rien de son histoire. C’est sans doute cela qui donne tant de force à sa démarche : une humilité sincère face aux destins qu’elle choisit d’incarner.Et cette fidélité farouche à la vérité des êtres. Quelle travail! Quelle artiste! Bravo Madame!
Fanny Inesta
Mise en scène: Pierrette Dupoyet
Interprétation: Pierrette Dupoyet
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