La deuxième mort de Laura Belle
- Fanny Inesta
- il y a 5 jours
- 4 min de lecture
FESTIVAL OFF 2025
Théâtre le Grand Pavois
du 5 au 26 Juillet
Crédit photos: Philippe Hanula
Une maison isolée, surnommée "la clinique", où un lieutenant de police rigide, un journaliste désabusé et une femme amnésique tentent de recoller les morceaux d’un drame. Un crime, une mémoire à réveiller, un compte à rebours invisible… Mais ce serait une erreur de croire que La Deuxième Mort de Laura Belle ne raconte qu’une enquête. Ce qui se joue ici, c’est la confrontation entre le vrai et le flou, entre le feu du passé et les braises du présent.
Le décor, comme la distribution, joue la carte de l’épure. Trois comédiens sur scène mais derrière eux, toute une ville gangrenée par la peur : le nom de Braxton, criminel de l’ombre, circule comme une menace ; ses hommes de main, une sœur disparue, un fiancé assassiné, un père tué dans une épicerie avec en mémoire une bouteille de lait... autant de silhouettes qui peuplent l’espace mental de la pièce.
Mais si tout est minimal, tout est tendu. Le bras en écharpe d’ Eddie Dixon qu’il ne faut pas effleurer, une robe sexy un humour involontaire qui fait rire quand il faudrait rester sérieux ... les signes physiques, les maladresses, les silences, tout participe à une dramaturgie du trouble. L’histoire elle-même, tissée avec soin par Olivier Douau, ouvre tiroir après tiroir : des secrets, des blessures anciennes, des stratagèmes. Laszlo, le policier, n’est peut-être pas aussi impartial qu’il le prétend, Eddie Dixon, le journaliste, porte en lui une scène, celle du meurtre de son père... Quant à Laura Belle, amnésique et énigmatique, elle inverse sans effort les rôles : celle qu’on interroge devient celle qui mène la danse, et l’on comprend peu à peu que le silence n’est pas l’absence de mémoire, mais une forme de protection.
La violence, ici, reste à distance. Elle est partout, et pourtant presque jamais montrée. Elle se niche dans les regards, dans les non-dits, dans la mémoire qui hésite à revenir. "Chacun porte le poids de ses secrets", dit Dixon. Et c’est cette charge-là, invisible mais oppressante, qui irrigue toute la pièce.
Une mise en scène où chaque détail compte et où les années 50 prennent corps: quelques cubes noirs, deux consoles ,un téléphone, une radio TSF, des costumes... Le reste est suggéré, une claie en fond de scène avec les crissements de pneus au loin, les phares de voiture que l’on devine grâce à une lumière oblique, le grain du jazz en fond, les silences tendus comme un fil de rasoir. Signée par Olivier Douau, elle offre un écrin en clair-obscur. Sons, lumières, costumes : tout est à sa place. Le plateau prend des allures d’écran noir et blanc, presque cinématographique .Tout est pensé pour que l’imaginaire du spectateur travaille à plein régime. On tourne les scènes comme on tourne les pages d’un polar, avec une curiosité fébrile, avec cette impression délicieuse que la vérité est là, tout près, mais toujours en fuite.
Et cette tension permanente repose avant tout sur la formidable partition des trois comédiens.
Stéphane Roux, dans le rôle du lieutenant Laszlo, incarne un homme en costume impeccable que rien ne semble pouvoir ébranler. Droit comme un ordre, il impose une autorité silencieuse dès son apparition. Mais pourtant, sous ce vernis de contrôle, il laisse filtrer ,avec une belle maîtrise les craquelures de l’homme. Il ne joue pas Laszlo comme un bloc, mais comme une digue qui menace de céder. Dans sa façon de contenir ses gestes, de peser chaque mot, il crée une tension presque physique. Le regard est fixe, parfois dur, mais jamais vide,la voix, calme, mais toujours prête à claquer. Il suggére la faille plutôt que l’exhiber. Et c’est cette retenue qui rend sa présence glaçante.
Nathalie Comtat, en Laura Belle, est une énigme charnelle et troublante. Femme suspendue entre oubli et instinct, entre douceur et panique, elle incarne à la perfection cette mémoire fracturée, tour à tour vulnérable et insaisissable, perdue et dangereuse. Elle brouille les pistes avec un talent d’équilibriste : un regard, une tenue , un rire, une hésitation suffisent à nourrir le mystère. Elle joue le silence aussi bien que la parole, et semble à chaque instant pouvoir basculer. À la fois victime, témoin et actrice du drame, elle fascine.
Olivier Douau, campe Eddie Dixon tout en paradoxe, avec un mélange de dérision et de lucidité blessée. Journaliste cabossé, séducteur malgré lui, il donne au personnage une chaleur presque décalée dans cet univers froid. Son arme, ce sont les mots et il les manie avec justesse, précision, et un bon sens du rythme . Il parvient à faire vibrer l’ironie sans jamais perdre la gravité du propos.
À eux trois, ils construisent un équilibre qui fait toute la force de la pièce. Ils ils vivent une tension, ils manipulent, se dévoilent, se trahissent avec une belle justesse de ton . Le passé surgit par fragments, la menace rôde, et l’on avance dans cette histoire comme dans une ruelle mal éclairée : avec prudence, mais avec une fascination croissante.
Et puis, il y a ce dénouement, inattendu, tendu, presque brutal, qui redonne une nouvelle couleur à tout ce qui a précédé. On croyait avoir compris. On croyait savoir qui manipule qui. Mais comme dans les meilleurs polars, rien ne se passe exactement comme prévu.
La Deuxième Mort de Laura Belle est un théâtre de l’ombre et du doute, où chaque scène est une étincelle prête à mettre le feu à l’illusion. On y entre pour l’ambiance, on y reste pour les comédiens. Et on en sort, comme après un grand film noir, ravi d’avoir été si bien mené en bateau.
Fanny Inesta
Ecriture et mise en scène : Olivier Douau
Avec: Olivier Douau Nathalie Comtat, Stéphane Roux
Création lumière: David Ripon
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