Dans la solitude des champs de coton
- Dominique Mesle

- 30 juil.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 sept.
FESTIVAL AVIGNON OFF 2025
Théâtre du Girasol

Bernard Marie Koltes nous entraîne dans une ambiance noire et grise, sordide, avec des mots si particuliers qui sont sa signature. Des mots puissants chargés de violence et d'acidité parfaitement ciselés dans cette dentelle qui nous enveloppe tout au long du spectacle. Nous sommes dans un hangar désaffecté, intrigant et qui nous fait frissonner. Un dealer, entaché de violence, fait son commerce. Un client, pas très à l'aise et apeuré arrive. Le dealer est ici chez lui, le hangar délabré est son domaine, voudrait-il vendre autre chose, de l'espoir, du bonheur ou simplement tout vendre? Le client vient de la ville et de ses lumières, il a froid, on échange de blouson. La lumière fait claquer la porte qui sépare le hangar de la ville, l'autre monde, doit-il tout acheter.
Le rapport entre les deux personnages est parfois tendre et souvent violent, le côté androgyne des acteurs apporte des couleurs à la poésie du texte. La mise en scène dans cet espace vide et dénudé est aussi puissante que le texte, les déplacements sont parfois rapides, parfois souples et animal tels les pas d'un tigre. Nous avons affaire ici à une véritable chorégraphie, à la limite de l'exploit sportif. La performance des deux actrices est tout à fait remarquable, l'apprentissage de ce texte assurément moderne, complexe, imagé et détaillé est déjà hors du commun.
La musique est aussi très présente ; elle accentue cette ambiance intrigante mais apporte aussi un peu de passion, voire de douceur notamment avec la symphonie N°5 en C mineur de Gustav Mahler et le saxophone de Albert Ayler.
Un spectacle fabuleux qui nécessite toutefois une préparation, un état d'esprit réceptif et une disponibilité pour entrer dans cet œuvre dense. Nous sommes à mille lieues d'un vaudeville de Feydau. Décédé en 1989 B.M Koltes a une approche bien singulière du théâtre moderne.
Un théâtre exigeant, soit, mais il vous emporte par la beauté brut des mots et la puissance des détails, un face à face bouleversant.
Un extrait :" Ce que je peux vous vendre, ce que vous pouvez acheter, ce n’est pas ce que vous croyez. Ce n’est jamais ce qu’on croit. Ce n’est jamais ce qu’on dit. Le commerce, c’est l’ombre des choses. »
Dominique Meslé
Texte de Bernard Marie Koltes
Mise en scène Alexandre Tchobanoff
Avec Prisca Lona (dealer)
Justine Morel (client)
Le regard d'Aurélie Courteille
Véritable hommage à Koltès, ce spectacle offre, de par les poses et les attitudes de ses acteurs, des tableaux remarquables qui marqueront l'œil. On reconnaît ici tout le génie de mise en scène d'Alexandre Tchobanoff qui, de par l'intensité de ses jeux de clair-obscur, fait de la salle un lieu d'intrigue sombre et intimiste propice à la rencontre de ce mystérieux inconnu, affiché comme dealer, et de cette ravissante cliente apeurée.
Belle interprétation. Beau spectacle. Qui laissera songeur, donnant à réfléchir sur les fondements de ce face à face instinctif et pugnace.
Le dialogue développé autour de la thématique du désir, bien que fort intéressant, risque cependant d'éloigner et de perdre une part du public de par la longueur des propos établis, laissant le spectateur dans l’observation et l’écoute philanthropique plutôt que le vécu d’une sensualité déployée en toute intimité.
Celui qui s'intéressera au sujet de cette réflexion fera l'effort de suivre, mais celui qui vient pour se divertir pourrait trouver le temps long, car l'empreinte relationnelle, physique et émotionnelle restent, à mon sens, insuffisamment palpables, conduisant cette mise en scène contemporaine à rester dans une dimension plus conceptuelle que réaliste. L’esprit de sensualité et d’action est là sans pour autant se rendre suffisamment manifeste et rapproché du vivant.









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