Coeur à coeur
- Fanny Inesta
- il y a 21 heures
- 3 min de lecture
FESTIVAL OFF AVIGNON 2025
Théâtre de l'Oriflamme
Rue du portail Matheron
du 4 au 26 Juillet (relâche les 9,16,23)

Sur un plateau nu, une chaise. Et puis, une voix. Celle de Guillaume, ou plutôt celle de ses organes. Car dans Cœur à cœur, William Rageau nous invite à écouter l’invisible, à prêter l’oreille à ce qui bruisse en nous: le cœur, le cerveau, le tube digestif… Ce seul en scène , à la croisée de la comédie corporelle et de l’introspection nous propose une immersion aussi loufoque que touchante dans les entrailles d’un homme en quête de sens.
Ils s’appellent Coco (le cœur, évidemment, flamboyant et passionné), Jako (le cerveau, méthodique jusqu’à la paranoïa), et Tubi (le tube digestif, anxieux chronique). Trois voix internes qui, ensemble, forment un improbable comité de pilotage de la vie de Guillaume, leur hôte, figure absente mais omniprésente. On pense à Il était une fois la vie, version théâtre de poche. Mais là où Pixar donne à voir, William Rageau choisit de faire entendre. Ce qui, en soi, est un geste théâtral fort : faire exister tout un monde sans jamais le montrer, à la seule force du jeu et du verbe.
Ce cœur à corps entre un cœur et son corps, est une métaphore filée de la résilience. De scène en scène, les avatars intérieurs de Guillaume se débattent avec les soubresauts de sa vie : une histoire d’amour qui tangue, un drame familial, une maladie, des désirs contrariés.William Rageau n’écrit pas seulement pour faire rire (ce qu’il fait souvent, et avec une certaine tendresse), il écrit pour se raconter sans se dénuder. Détourner le réel pour mieux en sonder la vérité, voilà tout l’art de ce spectacle.
Et quel art du jeu ! William Rageau incarne chaque organe avec un brio caméléon : posture, voix, rythme , tout change, sans jamais perdre le fil. Cette performance généreuse, rappelle les grandes heures du théâtre de tréteaux. Un théâtre de l’adresse, du dépouillement, où l’imaginaire du spectateur est convoqué autant que sa sensibilité.
Si Cœur à cœur est si attachant, c’est grâce à son humanité . Derrière les situations absurdes ,un cœur qui fait une crise de jalousie, un intestin qui déclenche l’alerte rouge au moindre stress , se dessine un parcours de vie, sincère et pudique. La maladie, la solitude, le poids des injonctions sociales : tout cela affleure, mais jamais ne plombe. William Rageau sait doser. Il cueille le spectateur par surprise, souvent entre deux éclats de rire. Et ce mélange d’humour et de gravité, à l’image de la vie elle-même nous touche en plein coeur. Il serait injuste de ne pas évoquer cette scène: l’apparition de Popol, cet organe robuste et (disons-le) imposant, projeté en ombre chinoise. C’est drôle, inattendu, et parfaitement maîtrisé dans la mise en lumière. L’effet est aussi absurde que poétique, et dit beaucoup de cette virilité qu’on interroge avec finesse. Une belle trouvaille de mise en scène à la fois drôle et étrangement délicate.
Formé sur les planches d’Avignon, nourri par une expérience de soignant, William Rageau signe ici un spectacle de transmission autant que de création. Il y a chez lui une volonté simple et belle : celle de toucher tous les publics. Et cela transparaît dans chaque intention. Cœur à Coeur n’est pas un divertissement, c’est un petit manifeste de vie, livré à voix nue.
Alors, que diraient vos organes s’ils pouvaient parler ? Après avoir vu ce spectacle, on n’a qu’une envie : leur tendre l’oreille.
Fanny Inesta
Mise en scène: Nicolas Laurent, William Rageau
De William Rageau
Avec: William Rageau
Lumière: Damien Dufour
Composition: Gaëtan Roma
Presse: Dominique Lhotte
Comments