Bérénice
- Fanny Inesta
- il y a 5 heures
- 2 min de lecture
Théâtre du Balcon Avignon
Les 10 mai 2025 à 20h, et 11 mai 2025 à 16h
Et pendant le festival Off 2025
Durée 1h30
Il est des mises en scène qui relisent les classiques avec révérence ; d’autres qui les bousculent pour mieux les faire résonner. Celle de Marie Benati, choisit une troisième voie : celle du déplacement. Linguistique, politique, scénique. Et ce résultat, audacieux nous incite à regarder Racine autrement. L’amour impossible devient celle d’un monde qui ne sait plus comment cohabiter.
Au cœur de cette proposition, un bilinguisme pleinement assumé. Les vers raciniens se heurtent, ou plutôt s’accordent à l’arabe littéraire, parlé sur scène, surtitré, déployé comme une langue d’égale majesté. À l’élégance rigoureuse de l’alexandrin répond la densité de l’arabe littéraire, ses volutes, sa gravité. Ce dialogue inattendu devient un pont : entre deux cultures, deux histoires, deux esthétiques . Car ce que révèle ce spectacle, c’est qu’au-delà des idiomes, c’est la musique des mots qui crée la résonance.
Cette pièce creuse un sillon bien plus profond : celui d’une lecture politique. L’exil de Bérénice n’est plus seulement l’ultime sacrifice d’un amour contrarié par la raison d’État ; il devient l’allégorie d’un rejet, d’un refus de l’Autre, de sa langue, de son monde, de sa culture. Celui de Titus, figure tragiquement contemporaine, incarne le dirigeant tiraillé entre ses responsabilités politiques et sa vie personnelle, obligé de renoncer à l’amour au nom d’une image publique et d’un pouvoir qui exige le silence des émotions.
C’est fort bien joué. Les comédiens mêlent la justesse du verbe, l’ intensité du regard avec une tension permanente entre silence et cri, entre Rome et Jérusalem.Tous livrent une belle performance, aussi habités en français qu’en arabe. Tous sont à l’écoute de la moindre vibration du texte, qu’elle qu’en soit la langue entre domination et poésie.
Portée par la beauté du chant, la musique, les lumières et l’élégance des costumes, la mise en scène exalte la douleur et la grandeur du renoncement avec grâce.
La scénographie de Pierre Mengelle est d’une belle intelligence et prolonge les tensions. Le plateau est traversé de fils tendus, comme autant de frontières invisibles ou de lignes de fracture. Entre elles, des silhouettes glissent : des servants (es) en belles djellabas , portent de plateaux emplis de verres. L’image est puissante. Faut-il y voir des domestiques ? Des figures du peuple effacé ? Ou les messagers silencieux d’un monde en déséquilibre, où l’Orient et l’Occident se croisent sans toujours se rencontrer?
Et c’est sans doute là que cette Bérénice touche le plus juste : dans sa manière de faire entendre Racine autrement, dans un contexte actuel, comme le rejet de l’Autre, la douleur de l’exil, l’impossibilité d’aimer sans renoncer à soi...
On se laisse prendre et emporter avec délice durant 1h30 par cette création du collectif « Nuit Orange". Lire, écouter, deviner parfois. Car dans ce théâtre multilingue, l’effort de compréhension devient un geste de résistance. Et c’est peut-être cela, le plus beau message de cette création : comprendre l’autre, c’est déjà commencer à l’aimer.
Fanny Inesta
De Jean Racine
Mise en scène: Marie Benati
Assistée de Sanae Assif
Avec: Sanae Assif, Ghina Daou, Edouard Dossetto, Leslie Gruel, Adam Karoutchi et Majd Mastoura
Musique: Osloob
Lumières: Raphaël Bertomeu
Scénographie: Pierre Mengelle
Costumes: Constance Bello
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