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Ma nuit à Beyrouth

  • Photo du rédacteur: Fanny Inesta
    Fanny Inesta
  • 13 sept.
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 sept.

Théâtre du Balcon

38 rue Guillaume Puy Avignon

Le 13 Septembre 2025 à 20h

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Quand la danse dit ce que les mots ne peuvent plus



Pour inaugurer sa nouvelle saison, le Théâtre du Balcon offrait ce vendredi un spectacle en entrée libre ,un geste de générosité qu’il convient de saluer. La salle, comble pour cette première, a accueilli "Ma nuit à Beyrouth", un spectacle qui a su attirer un public nombreux.

Il suffit parfois d’un simple papier officiel ou ici d'un simple ticket pour mesurer l’ampleur d’un chaos. Nadim Bahsoun danseur installé en France, revient au Liban avec l’idée presque naïve de renouveler son passeport. Une démarche banale ? Illusion. Chaque étape devient épreuve. Les couloirs de l’attente se transforment en théâtre de trois nuits blanches : alignements de corps debout, ordres changeants, absurdité kafkaïenne. Il attend dans la poussière et le vacarme, sous les phares des voitures. Une simple formalité révèle alors une tragédie collective, dans un pays où l’État s’effrite.

Dans "Ma nuit à Beyrouth", le récit se dédouble. D’un côté, " l’Homme qui danse ", incapable de porter son expérience par la parole. Il parle peu, presque pas, parce que les mots, trop lourds, se dérobent. Mais son corps, lui, dit tout. Et quel corps ! On reste saisi par cette puissance contenue, cet équilibre entre la mémoire du geste traditionnel libanais , les frappes de pieds du dabké, les élans communautaires ,et une physicalité contemporaine, plus brisée, fissurée par l’attente et la fatigue. Le danseur invente un langage hybride, nourri de son héritage et de son vécu. Sa danse bouleverse : elle incarne littéralement la dignité abîmée d’un peuple.

Face à ce silence dansé, c’est la magnifique  Mona El Yafi dans le rôle d'Aïda qui prend le relais : amie, passeuse de mémoire. Elle assume les mots que lui ne peut dire. Peu à peu, en racontant l’histoire de l’autre, elle dit aussi la sienne. Sa voix devient refuge, espace protecteur où le corps peut s’abandonner. Elle dit parfois avec ironie, ce que la danse ne peut pas exprimer. Entre eux, une complicité tendre, qui surprend par sa légèreté : un sourire surgit là où l’on attendrait les larmes.

Le dispositif est sobre : un corps qui se déploie, une voix qui raconte, et entre les deux, une circulation de sens. La danse n’illustre pas, elle déborde. Elle reste quand la langue échoue, quand l’humiliation ne peut plus se dire mais se tord encore dans les muscles.

Un troisième personnage s’impose : le mur. À Beyrouth, ces blocs de béton dressés depuis 2019, censés protéger les institutions, sont devenus les « murs de la honte ». Ici, il se métamorphose: d’abord opaque, puis poreux, palimpseste de mémoires, jusqu’à révéler son absurdité. Obstacle et support, prison et surface de résistance, il incarne les contradictions d’un pays, comme si le théâtre lui-même se débattait avec ce qui l’enferme.

La création sonore de Najib El Yafi, mêlant échos de musiques arabes et pulsations urbaines, compose un paysage où se superposent la rue et la scène, le quotidien et l’artifice. La danse s’y heurte, s’y déploie. Les marionnettes, enfin, démultiplient la figure de l’attente : comme si la foule entière respirait à travers un seul homme.

Ce qui marque dans Ma nuit à Beyrouth, c’est cette oscillation constante entre douleur et rire, mémoire et présent. Rien d’appuyé, rien de misérabiliste. Juste une mise à nu délicate, une façon de dire : « Nous faisons avec. Que pouvons-nous faire d’autre ? » On sourit, on retient son souffle, on partage l’attente.

On sort de la salle avec le sentiment d’avoir vécu non pas une reconstitution, mais un acte de présence, fragile et nécessaire. Une œuvre qui rappelle, avec pudeur et force, que l’art peut recomposer ce qui échappe aux institutions. Un hommage vibrant à la résistance silencieuse d’un peuple, et à la ténacité de ceux qui refusent l’effacement.

Les applaudissements s’élevèrent, chargés d’émotion, comme un écho du voyage que venait de partager le public.


Fanny Inesta


Texte, mise en scène et jeu: Mona El Yafi

Chorégraphie et danse: Nadim Bahsoun

Scénographie: Marcel Flores

Céation lumière:Océane Farnoux , Alice Nédélec

Création sonore: Najib El Yafi

Création costumes: Gwladys Duthil





1 commentaire

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Invité
14 sept.
Noté 5 étoiles sur 5.

Quel beau spectacle j'en ai eu les larmes aux yeux. Bravo pour cette critique qui décrit bien ce que vit le Liban... Marie

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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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