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  Se voir et Savoir

Dernière mise à jour : 28 mars 2023

Voilà si longtemps que je suis  habitué à me voir jeune que je ne puis réaliser que je suis vieux. Sans doute est-ce là un paradoxe qui se voudrait hors du temps et des années, loin cependant de l’image d’un Dorian Grey, malgré  ce désir d’éternité auquel aspire tout être sur cette terre.  Il ne s’agit certes pas de disconvenir à cette subjectivité qui conditionne le regard que l’on porte sur soi. Ainsi quand je me regarde le matin, comme tous les matins en me rasant, je ne puis me départir de cette image un rien narcissique que me renvoie le miroir, une image qui sous l’effet d’une certaine lumière ne peut être que flatteuse, alors qu’un autre miroir me renvoie une image propre  à dissiper toute illusion, comme si le poids de toutes ces années pesait soudainement sur mes  épaules. Alors pour ne pas céder à cette lucidité qui conduit au pessimisme, je me dis que devenir vieux, faute d’être un privilège, reste encore la seule façon – je n’en connais pas d’autre – de ne pas mourir jeune, et que ce regard existentiel devrait corriger une objectivité aliénante, comme le garçon de café de Sartre qui, s’il se voyait en garçon de café, ne serait jamais garçon de café. Aussi, loin du regard de Don quichotte qui se dit: «maintenant que je vois la réalité telle qu’elle est je ne suis plus bon qu’à mourir», on ne peut qu’approuver Celio disant à Octave:« la réalité n’est qu’une ombre, appelle imagination ou folie ce qui la divinise, alors la folie est la Beauté elle-même. » C’est une des fonctions de l’art de nous aider à mieux supporter cette réalité. Si l’on ne se voit pas tel qu’on est,  autant s’imaginer être tel qu’on se voit.  Et quand bien même l’illusion serait trompeuse, du moins parvient-elle à nous aider à vivre.  Ne dit-on pas qu’un homme a toujours deux visages: celui qu’il montre et celui qu’il a vraiment ? Encore que celui qu’il a vraiment révèle plusieurs images: la sienne et celles que les autres lui prêtent. Mais la raison devrait s’accorder aux valeurs morales et servir de garde-fou. Elle permet à l’être de prendre le pas sur la vanité du paraître, donnant ainsi un sens à l’existence face à notre humaine condition.  Si toute liberté suppose un choix, peut-on considérer comme Aristote que la voie du juste milieu (entre l’au-delà et l’en-deçà prônée aussi par Bouddha) est la voie de la sagesse ? Et comment ne pas hésiter entre la pensée Sartrienne : «Un homme n’est jamais que la somme de ses actes» et l’humanisme camusien: «Qui ne vaut mieux que ses actes» ?  Ainsi je traverse la vie comme tout un chacun, entre lucidité et illusion, pragmatisme  et imagination, le verre à moitié vide et le verre à moitié plein, entre un réalisme sans concession et le rêve qui est une “seconde vie“, éclairé par cette pensée pascalienne dont la résonance existentielle ne peut que situer l’homme dans l’univers :  «Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. »     


A.B            

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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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