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S'éclairer Sans Fin

Photo du rédacteur: Nadine EidNadine Eid

Edi Dubien


Musée de la Chasse et de la Nature

60 rue des Archives 75003 Paris

du 10 décembre 2024 au 4 mai 2025

du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne le mercredi jusqu’à 21h, fermé le lundi et jours férié.







Je m’interroge sur la place de l’animal dans notre société et je fais des rapprochements entre la nôtre, la leur et celle des enfants. Je m’intéresse aux fragiles, à ceux que nous ne voyons plus ! (…)


Les chevaux courent parce que nous leur avons appris. Un chevreuil fuit parce qu’il a peur de nous. Nous avons terrorisé le monde animal, et aujourd’hui, il est difficile de percevoir sa vraie nature. En ce sens, dans mes dessins, je fais le parallèle avec mes frayeurs d’enfant.

    Extraits interview Edi Dubien



La  monographie S’éclairer sans fin présentée au Musée de la Chasse et de la Nature rassemble plus de 250 oeuvres, peintures, sculptures d’Edi Dubien artiste plasticien autodidacte. Dans son oeuvre, la nature, faune et flore confondues occupent une place centrale. À ses côtés, l’enfant, l’humain fragile résiste grâce à elle. La solitude de l’enfant rejoint celle de l’animal et de fait, la complicité, la tendresse de la rencontre répare, reconstruit l’humain blessé. Si l’humain a failli à son rôle d’amour, la tendresse de l’animal semble avoir pu subvenir aux béances affectives, aux carences fondamentales.


Point n’est besoin de connaître les propos d’Edi Dubien sur sa démarche artistique pour voir, dès les premiers dessins, dès les premières installations que les enfants ou les jeunes hommes de ses portraits sont marqués par la résilience. Il y a eu la souffrance, elle est là, posée dans les regards, la gravité de l’expression, la nostalgie. Pourtant ce qui l’a soignée, la jouxte ; Empreints d’une tristesse sans nom, des visages enfantins ou adolescents sont étonnamment présentés avec un animal. Là, pas de domesticité, mais singulièrement comme un lien d’étroite connivence.

Edi Dubien a quitté sa famille à l’âge de 16 ans et s’est ainsi littéralement sauvé. Il a pu, chez sa grand mère en Auvergne, découvrir un refuge dans la Nature. La faune devient pour lui source de liens à tisser. Il métamorphose ses émotions au contact des animaux, laisse parler son être jusque là brimé et le garçon trans communique librement. Il établit alors un parallèle entre leurs craintes et leurs frayeurs et ses propres frayeurs enfantines.


Ses autoportraits comme il les qualifie montrent des visages d’enfants et de jeunes hommes tous différents qui ne lui ressemblent pas mais qui tous ont partagé un même traumatisme, celui de n’avoir pas été dans la possibilité de vivre, dans la paix, leur vie d’enfants. Ils sont, en quelque sorte, autant d’êtres qu’il n’a pas pu vivre dans son enfance et son adolescence, empêché par une détermination de genre clivante. La maltraitance est perçue par delà la vulnérabilité de l’enfant assujetti à l’adulte comme l’animal sauvage ou domestique l’est aussi à l’homme. Des photos d’enfants durant la seconde guerre mondiale ont inspiré ces visages. Victimes d’adultes, les enfants dans leur fragilité confrontent par les violences subies, l’homme à son inhumanité, révèlent le monstre inconscient. L’inanimalité est un néologisme inutile, elle n’existe pas.


Les animaux parfois maquillés ou vêtus sont investis de la possibilité de communication. Edi Dubien semble ainsi affirmer que la complicité existe, qu’un échange via le vecteur de la tendresse est une évidence pour qui s’approche ou se laisse approcher sans crainte. Ce que nous sommes en tant qu’êtres vivants n’est pas clivant. L’humain peut et, à n’en pas douter, devrait communiquer avec l’animal, le végétal.

Les larmes bleues de l’enfant comme les baisers au chevreuil ou au renard parlent de rédemption, de douceur salvatrice. L’amour qui unit et fait exister est omniprésent dans ses oeuvres. La fascination joue à plein car la renaissance est affirmée même si demeurent les stigmates.

Les installations comme les sculptures, sont édifiantes. La barque de l’enfant qui tient dans sa main un petit dinosaure, ne rappelle pas vraiment l’arche de Noé car les larmes bleues qui coulent sont aussi celles qui bleuissent le lièvre dans une autre installation, comme si les larmes pouvaient elles mêmes créer, engendrer. De fait, les animaux embarqués sont tous bleus car bleuis par le bleu des pleurs du jeune homme.

Dans nombre d’aquarelles, la fusion et l’osmose entre l’animal et l’enfant s’imposent. La tortue sur sa tête, encadre en rappel son visage avec la réplique du motif des écailles sur l’encolure du tee-shirt.  Le masque du daguet laisse seulement apparaître la bouche, mais toutes les aquarelles pleurent légèrement.

Ça et là dans les salles du Musée de la Chasse et de la Nature, une oeuvre d’Edi Dubien se mêle aux animaux taxidermisés. Un sanglier en tutu rose affirme néanmoins la puissance tellurique de son poitrail et son contraire aussi.


Tout est à ressentir. L’immédiateté des messages d’espoir qui jaillissent de la proximité entre les êtres fragiles et nous qui les reconnaissons comme tels, interpelle le visiteur. Ses oeuvres nous rencontrent dans ce qu’elles expriment, la tendresse, la douceur, la fragilité extrême de l’enfance, la permanence des manques et des traumatismes malgré la résilience et la possible construction qui répare avec l’autre et par l’autre soi-même.

La ténuité des sensations va cueillir notre âme d’enfant et, d’évidence, notre lecture  embrasse celle de l’artiste et bavarde avec elle pour S’éclairer sans fin.

Devant la rencontre imprévue du cerf et du loup, les deux animaux totems de la forêt, une ariette  pas vraiment oubliée s’est mise à fredonner.




L’enfant endormie me susurre une ariette douce amère mi-regret, mi-jeu qu’elle écrivait en fredonnant dans le noir de ses nuits esseulées, noires comme les ailes de l’aigle bleu.



J’ai rêvé du cerf et perçu le loup,

J’ai hélé le cerf mais vu le hibou,

J’ai cru voir le cerf

Sans rien voir du tout.

Sans désir, sans rêve

Sans espoir surtout,

La forêt m’appelle

Ses branches surtout.


Je vois le grand cerf

Et j’ai peur de tout.


Pas à pas

N.Eid





S’éclairer sans fin à s’offrir et à offrir  comme une parenthèse de douceur et de délicatesse. A visiter sans précipitation ou horaires contraignants, comme pour un rendez-vous, un affût en forêt, sans hâte et en toute liberté.

Le catalogue de l’exposition  S’éclairer sans fin est à paraître en janvier 2025


Nadine Eid


Commissariat

Rémy Provendier-Commenne, responsable

des collections du Musée de la Chasse et de la Nature

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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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