L'Analphabète
- Nadine Eid
- 3 avr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 avr.
Par Catherine Salviat
Festival Sacrée parole, paroles sacrées 2ème édition
Le 31 mars 2025 à 19h Chapelle de l’Oratoire
32 rue Joseph Vernet Avignon
Le 2 avril 2025 à 18h Eglise Saint Ruf
27 boulevard Gambetta Avignon
Or les textes aussi sont des lieux, - ils le sont même par excellence. Ils sont des lieux où tout peut advenir, - l’éblouissement et les ténèbres, et jusqu’à la Parole de Dieu. Ils sont les lieux où s’illuminent la solitude, l’absence, où stridule le vide, où chante le silence.
Sylvie Germain, La Pleurante des rue de Prague.
Le dire est tolérable, l’écrire ne l’est pas. Catherine Salviat n’est pas magistrale, elle s’est fait verbe. Elle est notre écoute suspendue à sa voix, sa présence, notre indéfectible adhésion à une parole, une narration, une diction de texte qui nous épingle, nous happe et nous défenestre avec elle. C’est beau, sobre et somptueux, poétique et théâtral dans la puissance, la simplicité, le classique et le décryptable qu’elle tisse peu à peu au fil de sa narration.
Que dire de cette mise en scène ? Rien, si ce n’est qu’elle est en elle, ancrée, portée, endossée, discrètement soulignée par les ombres de sa silhouette allant et partant, nous emmenant au plus profond des mystères d’une humanité en déroute.
Allers-retours entre les rémanences. Les surgissements d’une mémoire se nourrissent de ceux de l’âme et se déplient comme un conte.
L’église Saint Ruf, le drapé sur l’autel choit sur les marches et rappelle, veut-on le croire, tous les mysticismes. La voix est accueillie : elle porte un texte-témoignage, le récit autobiographique d’Agota Kristof, émigrée hongroise qui a fui l’invasion russe du 4 novembre 1956, a trouvé refuge en Suisse puis est devenue poète, romancière et dramaturge dans un français d’adoption.
Son exil c’est celui de sa langue, son lieu d’appropriation du monde. Son récit s’encre et s’écrit dans le translinguisme, la transversalité des langues. Il y eut même hier soir, le langage des cloches, c’était l’heure, l’appel à la prière pour les fidèles. L’universalité de la communion, comme un unique rassemblement, une compréhension sue, tacite, presqu’une union de soi à soi et de soi aux autres.
L’exil et ses souffrances, c’est avant tout la langue maternelle perdue, comme rendue oubliée par la « langue ennemie », celle qu’il lui faut apprendre, s’approprier coûte que coûte. C’est aussi celle qu’il va falloir écrire.
Le texte est puissant, le témoignage prégnant. Il est question d’exil et d’amertume, de souffrances en dépit de la joie simple de revivre. Pouvoir être à nouveau hors de danger, certes mais pourquoi alors tous ces suicides ? L’essentiel ne suffirait il pas ?
Catherine Salviat porte avec un remarquable talent ce texte aux interrogations multiples.
Nabil El Azan, le metteur en scène écrivain et traducteur franco-libanais - décédé à Avignon, « façonné de Provence » avec lequel elle a porté ce texte - reçoit par l’interprétation de la Sociétaire Honoraire de la Comédie Française un très bel hommage.
Si « les textes aussi sont des lieux », la comédienne a su ouvrir les portes de L’Analphabète d’Agota Kristof.
A ne pas manquer, en tous lieux.
Nadine Eid
Avec Catherine Salviat
D'Agota Kristof
Mise en scène: Nabil El Azan
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