Comme un dernier désir dans l'air bleui
- Marie-Christine Vaxelaire
- 1 oct.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 oct.
Théâtre de l’optimist
Rue Guillaume Puy Avignon
Le 26 et 27 septembre 2025 à 19h30

« Comme un dernier désir dans l’air bleui » est une lecture, finalement non, le comédien vibre et incarne la puissance du texte de Blaise Cendrars sur son voyage transsibérien de 1913 — non pas pour reproduire un simple récit de gare, mais pour en révéler la force visionnaire rythmée et la prémonition des horreurs d’une guerre à venir.
Les textes sont de Blaise Cendrars, Ossip Zakedine, son ami russe rencontré à Paris qui bruissait alors de jeunes nouveaux talents reconnus depuis.
La lecture est heurtée, chantante, ponctuée d’accélérations qui font naître des images fulgurantes. Les syllabes claquent, les longues phrases s’étirent en panoramas et les collisions verbales font surgir des espaces ponctués de villages, populations esquissées, de douleurs exposées. La prose de Cendrars, libre et imagée, est restituée par un interprète qui rythme le texte, soutenu par une musique qui la souligne en subtilité.
La lecture se fait prophétique : le mouvement devient signes avant-coureurs d’une catastrophe. Sans jamais nommer la guerre de 1914 au début, le spectacle laisse poindre des visions de fer et de sang ; la cadence du récit du voyage et de l’évasion, devient promesse de rupture, machine qui porte et brise.
Le rapport au langage est sensible : la prose, riche en métaphores, en enchaînements lumineux, est mise en valeur par un jeu scénique dépouillé, seulement la force du verbe qui, porté par un corps présent, crée un paysage mental.
L’acteur modulant sa voix, passant d’un phrasé lyrique à l’énonciation brutale, rappelle que Cendrars écrivit à l’orée d’un monde industrialisé et anxieux. Chaque image littéraire prend chair : les mots ne sont plus description, mais crissent et se heurtent ; les gares sont des haltes de destin, des déchirures. Il nomme ceux qui sont tombés, ceux dont la vie a été anéantie par la guerre, tous ces talents qu’il a connus, réunis à Montparnasse, Apollinaire, Sonia Delaunay, Brancusi, Braque, Modigliani.
Au milieu de cette traversée se niche un moment d’une tendre fragilité : la figure de Jehanne. La voix se fait intime. Les adjectifs se font caresses et la cadence ralentit pour épouser la douceur d’un souvenir, d’un amour. Jehanne apparaît comme douceur, une terre d’enfance...
Quand la lecture s’achève.
Le public se relève lentement, marqué par la vigueur de la langue et par la façon dont le spectacle a su rendre audible tout l’épique contenu dans ce voyage d’avant-guerre. Il y a un moment de stupeur puis, les applaudissements fusent en salves. Cette lecture-théâtre ne se contente pas d’honorer un beau texte : elle le réactive, le métamorphose en expérience sensorielle où la beauté de la prose, la douleur des amitiés perdues et la tendresse pour Jehanne convergent pour nous livrer un moment de pure beauté.
Marie-Christine Vaxelaire
Comédien et musique ; Olivier Pauls et Bruno Grégoire
Le regard de Fanny Inesta:
Ce soir-là, au théâtre de L’Optimist, l’ouverture de saison s’est teintée d’un parfum de retrouvailles et cela fait du bien. La proximité entre scène et public crée aussitôt une intimité propice à la rencontre et au partage
Ces 26 et 27 septembre,2025 l’espace a vibré au rythme des mots de Blaise Cendrars et de la mémoire d’Ossip Zadkine, réunis dans une lecture-spectacle au titre évocateur : Comme un dernier désir dans l’air bleui.
Sur le plateau dépouillé, le comédien Olivier Pauls et le musicien Bruno Grégoire font corps avec le texte. Trois mouvements scandent cette traversée : l’évocation d’une enfance marquée par les choix de Zadkine, la plongée dans le Transsibérien de Cendrars, puis le retour amer d’une génération fracassée par 14-18.
Zadkine, sculpteur majeur du cubisme, voyait son œuvre comme une révolte contre les brutalités du siècle. Le rappeler aujourd’hui, alors que le monde bruisse à nouveau de conflits, confère au spectacle une résonance particulière. Quant au poème épique de Cendrars, écrit à la veille de la Première Guerre mondiale, il garde intacte sa puissance visionnaire : voyage réel et mental, traversée de l’immensité russe et de l’âme humaine, il dit à la fois l’élan et la perte.
La mise en voix d’Olivier Pauls, , choisit l’engagement total. Parfois au prix d’une gestuelle appuyée, qui peut sembler souligner trop lourdement ce que le texte dit déjà avec force. Mais on ne peut nier la sincérité, ni l’énergie avec laquelle il porte la langue incandescente de Cendrars. La musique de Bruno Grégoire, discrète mais précise, ouvre des respirations sonores, comme des haltes au bord de la voie ferrée.
On sort de cette soirée avec le sentiment d’avoir accompagné deux artistes,Zadkine et Cendrars,dans leur quête d’expression face aux bouleversements de leur temps. Et d’avoir entendu, à travers eux, un écho troublant de notre présent.
On ressort de cette soirée avec le sentiment d’avoir voyagé à la fois dans l’Histoire et dans l’imaginaire. Zadkine et Cendrars, convoqués sur cette petite scène, y trouvent une résonance inattendue, presque nécessaire.
Une ouverture de saison qui donne envie de revenir .Tout n’est pas toujours parfaitement maîtrisé, une emphase parfois trop visible, mais la sincérité du propos balaie ces excès.Ce détour par Cendrars et Zadkine rappelle qu’un simple pupitre et une conviction peuvent suffire à captiver une salle entière.
Comédien et musique ; Olivier Pauls et Bruno Grégoire
Fanny Inesta
Super ces deux critiques se complètent se répondent …..bravo