Plaidoyer pour l’inutile
Dernière mise à jour : 24 mars 2023
Un technocrate pragmatique – je n’en connais pas de rêveurs – considérait perplexe le dispositif scénique du festival dans la cour d’un lycée. Il avait fallu, de l’ingénieur au lampiste, que l’on adapte, transporte, coupe, meule, ponce, boulonne, faire des essais, mettre à l’épreuve, essayer à nouveau, recommencer encore. Tant de travail, d’argent et d’énergie pour quelques spectacles éphémères. Comment pouvait-on autant investir dans l’inutile ? Point d’indignation cependant de notre pragmatique pour les dépenses militaires ou pour les sacrifiés africains de la tri-thérapie. En bon technocrate, il se sentait plus proche des thèses de Hayek que des défenseurs de l’art pour l’art, pour qui une chose cesse d’être belle dès qu’elle devient utile. Inutiles la poésie et cette idée que quelques beaux vers ont fait plus de bien à l’humanité que tous les chefs – d’œuvre de la métallurgie. Inutiles ces artistes qui nous replacent au cœur des valeurs esthétiques et culturelles. Inutile l’émotion suscitée par un tableau, une cantate ou un spectacle et qui, nous réconciliant avec nous- mêmes, nous donnent une raison de plus d’aimer le monde. Inutile cet essentiel au profit d’un utilitarisme accessoire ? Les cerisiers du Japon sont vénérés pour la beauté de leurs fleurs. Et chaque année on attend que revienne le temps des cerises, non plus pour leurs fruits improbables – ces arbres ne produisent pas – mais pour les promesses des premiers bourgeons et des fleurs à venir. Les roses du Bengale sont sans épines et sans parfum, cependant, affirmait Musset, ce sont les plus belles que Dieu ait faites ainsi. Inutiles les cerisiers du Japon ou les roses du Bengale ? C’est vrai qu’en notre honorable cité repose Stuart Mill, un de ces philosophes utilitaristes anglais pour qui le bonheur se mesurait quantitativement en intensité, durée etc.., à l’encontre de cet autre philosophe du je-ne-sais-quoi et du presque rien, sensations fugitives qui loin d’être secondaires, nous sont essentielles. Pourtant quand le rien s’émerveille du rien et que l’utile se range au rayon des accessoires, quand l’actif fait place au contemplatif, le rationnel à l’émotionnel et l’esprit de géométrie à l’esprit de finesse, la création cultive le champ du rêve et du possible. C’est pourquoi il devient urgent de crier dans le pragmatisme conceptuel du coût et du profit ambiant : Que vivent les artistes
Leur art reste un oasis salutaire dans un désert culturel toujours plus envahissant. Autant dire que c’est pour tout un chacun une question de survie. .
A.B
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