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Don Giovanni

  • Photo du rédacteur: Nadine Eid
    Nadine Eid
  • il y a 1 jour
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 15 heures

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart

Livret Lorenzo da Ponte

Opéra Grand Avignon

Place de l’Horloge Avignon

Vendredi 10 et mardi 14 Octobre 2025 à 20h, dimanche 12 à 15h

Durée 3h


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En 1787 lorsque Mozart signe Don Giovanni d’après le livret de Lorenzo da Ponte, le Dramma giocoso in 2 atti connait un flamboyant succès. Dans le catalogue thématique de ses oeuvres, Mozart remplace cette qualification par celle d’opera-buffa et il semble bien que lui-même ait eu quelques difficulté à classifier son opéra.

Ce qui fait sens, ce sont les oeuvres littéraires comme les oeuvres musicales qui, après El Burlador de Sevilla, s’emparent du personnage. Toutes attestent que Don Juan est un mythe.

Après Le trompeur de Séville et le convive de pierre de Tirso de Molina en 1630 citons Don Juan de Molière en 1665,  Don Juan d’ Ernst Theodor Amadeus Hoffmann en 1813, L’invité de pierre d’Alexandre Pouchkine en 1830 devenu le livret de l’opéra de Dargomijski, Don Juan de Lenau en 1844 inspiration du poème symphonique de Richard Strauss, il n’est pas jusqu’aux Fleurs du mal, dans Spleen et Idéal de Charles Baudelaire qui, en 1846, propose un Don Juan aux enfers.

La liste est incomplète et ne saurait être exhaustive tant le personnage de Don Juan est archétypal.


La mise en scène de Frédéric Roels assisté par Nathalie Cendrot et la scénographie de Bruno de Lavenère sublimées par les lumières de Laurent Castaingt servent remarquablement l’oeuvre. Elles proposent une lecture limpide des thèmes centraux : la mobilité et la fuite, l’anarchie et la liberté, le principe de plaisir face à Thanatos.

De la minéralité du décor aux lignes de fuite convergentes jusqu’à l’éclairage qui magnifie les ombres portées sur les murs dressés d’arches, tout contribue à créer le gigantesque, le poids des conventions, presqu’un fatum auquel nul ne devrait pouvoir échapper ; mais il n’en est rien. Le décor grandiose n’est pas oppressant. Les rangées d’arcs sous lesquelles ou derrière lesquelles les personnages évoluent, les perspectives dévoyées par les aplombs vertigineux ou le mobilier renversé,  tout concourt à briser la rectitude d’un ordre établi qui ne peut être. Dans ce lieu aux perspectives biaisées, on s’assied sur les dossiers des canapés et les chaises ont les pieds en l’air. L’assise est à trouver ailleurs, ici elle n’est pas de mise. La pierre-matière envahit l’espace et les bâtiments érigés presqu’en avant-scène semblent corroborer un ordre imposé. Cependant deux rues comme des promesses d’échappées-belles assurent le ballet incessant des personnages. qui tous, le commendatore  y compris, sont animés par une nécessité de mouvements irrépressibles. L’agitation en acmé, les mouvements intenses et permanents constituent un élément scénique. Ces déplacements stigmatisent une fuite perpétuelle, un évitement de stabilité, une volonté de transformer un ordre sclérosant en  anarchie quasi chaotique certes, mais créatrice et au service de leurs desseins. Dans l’ensemble, les buts poursuivis paraissent converger vers une quête commune, celle de confronter l’abuseur, le trompeur. Les costumes de Lionel Lesire participent au désamorçage et mêlent les modes et les époques, sans possibilité de s’y ancrer. La mini jupe frôle les jupons longs et les faux anachronismes tissent la mobilité qui perdure au sein des mythes et précisent les figures archétypales.

Don Juan el Tenorio, ce coureur de jupons use de mensonges éhontés pour séduire. L’activité don juanesque n’est pas liée à l’observance de techniques de charme classiques. Ce que le personnage met en avant, ce ne sont pas ses qualités réelles ou usurpées mais singulièrement des allégations erronées, souvent mièvres que les dupées ne devraient pas pouvoir écouter en les créditant. La véracité  simulée des multiples promesses de fiançailles ou de mariages ne devraient pas être audible et pourtant, Don Giovanni se contente de séduire essentiellement par de vains propos et ses promesses relèvent plus de la farce bouffonne que du registre burlesque. Les rares éléments tragiques sont évacués tels d’encombrantes scories au bénéfice de l’anarchique liberté d’être des personnages qui font allégeance à un objectif  obsessionnel commun, celui de punir il Traditore. Les femmes abusées ou en passe d’être séduites manipulent à loisir leurs époux ou futurs époux et Donna Anna comme Zerlina affirment une belle liberté d’action et de désir. Don Ottavio et Masetto peinent à suivre le rythme effréné de leurs désirs avoués ou suggérés. A leurs côtés, ils paraissent bien falots. Quant à Donna Elvira dotée par Mozart d’airs sublimes peu après l’ouverture, elle occupe une place centrale car c’est d’elle que la dimension tragique émane et déplace le principe de plaisir vers celui de la réalité. En oscillant entre le courroux, la vindicte et sa passion pour Don Giovanni, elle distribue finalement les allées et venues des autres personnages et mène la poursuite vengeresse pour s’en dédire in fine, car elle veut encore croire à l’amour.

Duper et consentir au leurre tel est le noeud gordien de la séduction don juanesque. La jouissance, la fête et le plaisir taillent la part belle à la joie comme au désir et la musique de Mozart très finement dirigée par Débora Waldman, emporte les paroles bien au delà de ce qu’elles énoncent. Il faut tout le talent de La Cheffe de l’Orchestre National Avignon-Provence pour conduire ses musiciens à interpréter avec une sensation de joyeuse liberté et néanmoins une maitrise rigoureuse de la subtilité des intentions d’une partition emplie d’ a parte et de connivences, de pas de côtés faits au sérieux ennemi de l’art lyrique. Les voix toutes remarquables ont su tisser avec les musiciens un accord identifiable. Armando Noguera et Tomislav Lavoie ont rivalisé de précision dans un intéressant couple ambigu maître-valet et la justesse de leur interprétation a servi la compréhension du désir de Leporello « faire le gentilhomme » seul souhait possible puisqu’il ne « veut plus servir ». L’inversion des costumes pour tromper les dupes ne trompe personne hors les abusés : le faire-valoir du maître c’est le valet comme Jacques le Fataliste et son maître en 1785 avait osé le nommer jusque dans le titre de ce très moderne texte de Diderot. S’opposant dignement à Don Giovanni, Mischa Schelomianski endosse un commandeur  persuasif qui joue en opposition à tous les personnages. Sobre et laconique, marmoréen et investit de l’image du père tout-puissant  doublement assassiné par la complicité de sa fille, il rompt la vélocité des personnages, intime sa volonté, fait  taire les verbiages incessants du prolixe Leporello au «  mille e tre » déclinaisons  descriptives des conquêtes et réduit à néant les fadaises des déclarations amoureuses de Don Giovanni si peu convaincantes finalement.

Anaïk Morel s’empare du rôle de Donna Elvira et l’emporte dans les registres d’une dimension tragique avec la compréhension des subtilités du rôle et des fluctuations des désirs et des sentiments. La palette est large et ce qu’elle traduit du personnage montre un talent hors du commun. Lianghua Gong et Gabrielle Philiponet ont constitué un couple bien assorti avec deux tessitures très identifiables jusque dans le choeur de l’Opéra Grand Avignon. Eduarda Melo et

Aimery Lefèvre incarnent Zerlina et Masetto avec une incroyable ampleur et la dimension offerte au rôle de Zerlina bouscule et renverse les codes. Elle dupe Masetto sans être dupée et quand elle crie au secours, c’est en toute conscience et volonté de ne pas être la dupe de Don Juan sur le point de l’abuser sexuellement. Elle joue à être séduite et séduit plus Don Juan qu’elle-même n’est séduite par lui. Elle souhaite conserver son époux de fraîche date et ne pas sacrifier au plaisir, sa condition d’épousée. Elle maîtrise son présent comme son avenir et se protège tout en malmenant le pauvre Masetto, ludion des désirs de sa toute jeune épousée.

Pour accéder au plaisir, le jeu n’est pas déloyal et, si la réalité est réformable à loisir, seul le mensonge est de rigueur. La parole remplace le faire ou l’agir qui doit récuser les codes et l’observance de règles invalidant le désir et interdisant le plaisir. Il s’agit bien de parvenir à l’expression d’une jouissance au détriment des lois et de la morale. « Vive la liberté ! » résonne comme une invitation à se libérer du joug des principes pour pouvoir disposer avec joie de la vie.


En ce sens, cette proposition de Don Giovanni illustre magistralement l’expression souveraine de de l’ego affranchi du poids social. Pervertir les usages et les codes, n’être lier qu’à l’injonction de son propre désir, respirer en soi et pour soi, dresse un portrait d’homme moderne. En cela, Don Giovanni demeure le modèle de l’immuable puissance d’un chef d’oeuvre qui, avec d’autres, édifient le mythe de Don Juan.

L’Au-delà que présage la fin éprouvante de Don Giovanni atteste que, au delà des principes de réalité, le personnage incarne l’absolu d’un rôle dans le chaos du monde comme dans l’ordre établi. En stricte observance à ses pulsions, Don Giovanni par l’immédiateté qui le caractérise et par le refus d’obtempérer à l’injonction au repentir se définit comme vainqueur. Etre de désir permanent et insatiable, il incarne le souffle du vivant. Le non maintes fois réitéré le défenestre avec panache et affirme un personnage libre face à la mort.      

En ce sens, cette proposition de Don Giovanni illustre magistralement l’expression souveraine de de l’ego affranchi du poids social. Pervertir les usages et les codes, n’être lier qu’à l’injonction de son propre désir, respirer en soi et pour soi, dresse un portrait d’homme moderne. En cela, Don Giovanni demeure le modèle de l’immuable puissance d’un chef d’oeuvre qui, avec d’autres, édifient le mythe de Don Juan.

L’Au-delà que présage la fin éprouvante de Don Giovanni atteste que, au delà des principes de réalité, le personnage incarne l’absolu d’un rôle dans le chaos du monde comme dans l’ordre établi. En stricte observance à ses pulsions, Don Giovanni par l’immédiateté qui le caractérise et par le refus d’obtempérer à l’injonction au repentir se définit comme vainqueur. Etre de désir permanent et insatiable, il incarne le souffle du vivant. Le non maintes fois réitéré le défenestre avec panache et affirme un personnage libre face à la mort.      


Nadine Eid


Bémol :

Un souhait… que les bonbons aux papiers crissants lentement dépliés sous les doigts désoeuvrés des spectateurs en hypoglycémie et de fait mal-entendants soient prohibés ou vivement déconseillés à l’opéra, tout comme le chignon haut et fleuri qui réduit considérablement les angles de vue

des malchanceux assis derrière la coquette !

Bécarre :

Une très esthétique et intelligente proposition à applaudir.


1 commentaire

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Fanny
il y a 15 heures
Noté 5 étoiles sur 5.

Une écriture riche et documentée ! Une vraie érudition et une sensibilité littéraire et musicale qui nourrissent la lecture! Un ton enthousiaste qui conjugue exigence et plaisir,qui offre une critique profonde et accessible .Le bemol que tu soulignes apporte une touche d humour et de réalisme et cela rappelle que l opéra se vit aussi ds l espace partagé et le confort du public! C est drôle! Le bécarre nous laisse sur une belle impression. Bravo!

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Nous sommes Fanny Inesta et Jean-Michel Gautier, chroniqueurs indépendants et surtout passionnés de théâtre, d’expositions, et de culture en général. A ce jour, nous créons notre propre site, avec nos coups de coeur et parfois nos coups de griffes… que nous partageons avec vous.

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