A la recherche de la recherche
Théâtre de L’Oriflamme
6 rue du Portail Matheron Avignon
de et par Jean-Jacques Vannier
du 2 au 21 juillet 2024 relâche le 8 et le 15
Un peu stressé, un peu en retard, Jean-Jacques Vannier déboule dans la salle par l’entrée public. Il semble en proie à des vicissitudes qui l’accablent et en même temps, lui servent de point de départ pour, in médias res, emmener le public installé dans son univers. C’est un peu comme s’il devait écrire ou plutôt réécrire le texte de son cours ou de sa conférence en fonction des aléas de son existence. Du bus à Proust, il n’y a qu’un chauffeur qui appuie sur l’accélérateur et les passagers qui hurlent paniqués, métonymie de la salle qui hurle de rire.
L’incipit de la Recherche n’est pas épargné et le talent du comédien sait parfaitement jongler avec les ressorts de l’absurde systématiquement recalé par un réalisme de comportement qui est le fruit d’une observation et d’une imitation très attentive de l’humain, en l’occurrence nous autres, ses spectateurs. C’est ainsi, que durant 1h15, il parvient à réconcilier ceux qui ont lu avec ceux qui n’ont pas lu A la recherche du temps perdu.
Le comédien lui aussi prend son temps et superpose les niveaux d’élocution. Tantôt conférencier despotique, tantôt comédien complice ou homme malicieux il se promène Du Côté de chez Swann avec ses digressions et ses disques rayés sans pour autant méconnaître la concision de la promenade du côté de Germantes, les débrayages elliptiques. C’est du reste de ce côté-ci qu’il excelle, quand il s’amuse à nous suggérer sans le faire quelque chose qu’il a mis en place en amont. Ses silences et sa gestuelle induisent sans perdre dans l’explicatif la portée profondément loufoque de nos situations de vies ordinaires. L’absurde pointe comme le bout du capot du bus, dès le début. Il tisse à partir de ces situations banales à souhait un lien présenté comme ontologique avec certaines des phrases de La Recherche qui deviennent sujets d’étude aptes à déconstruire l’absurde. Le sentiment d’infinie solitude du jeune Marcel est étonnamment dans et par le rire saisi dans le ressenti tragique de l’enfant. Le délice rémanent de la madeleine prend d’assaut nos souvenirs kinesthésiques.
Le talent de Jean-Jacques Vannier emmène dans une écoute drolatique mais sérieuse, triviale mais poétique. De ce bus dont, comme lui, nous n’avons cure, il parvient, au final, à nous parler puis, à nous réciter comme si de rien n’était, dans une incroyable diction des pages de Proust.
Quel hommage et quelle formidable mise en scène de ces lignes !
A voir sans hésitation ! Venir à pied, les bus ont du retard, les chauffeurs sont récalcitrants.
Nadine Eid
de et par Jean-Jacques Vannier
Compagnie Teknaï
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