Sidonie va au Japon
Film d’Elise Girard
avec Isabelle Huppert et Tsuyoshi Lhara
A voir et revoir sans modération…
à partir du 3 avril 2024 à Utopia en Avignon
Le titre rôle de ce film, titre concis, rappelle nos albums d’enfants Martine va à la plage ou Oui-Oui part en avion et celui du film de Rohmer, Pauline à la plage.
Sidonie Perceval est invitée par son éditeur Kenzo Mizoguchi au Pays du Soleil Levant à l’occasion de la réédition de son unique livre, un best-seller autobiographique qui relate sa difficile reconstruction après le décès de ses parents survenu alors qu’elle était enfant. Tout semble prévu par son éditeur méticuleux, les séances de dédicaces, les visites culturelles, les hôtels, afin que son périple soit agréable mais aussi efficace puisqu’il s’agit quand même de faire la promotion de cette réédition.
Dès les premières images, on comprend que dans sa valise qu’elle tarde à boucler avant le départ, s’il y a peu de vêtements, s’y trouve toute la tristesse du monde. Elle n’a visiblement pas réussi à accepter, à nouveau, un décès, celui de son époux, parti aussi par accident.
Isabelle Huppert est stupéfiante quand elle joue avec des yeux d’aveugle, inexpressifs ou presque car ils révèlent l’absence ou l’anesthésie partielle due aux traumatismes réitérés.
La scène de l’aéroport est signifiante, elle y arrive avec un tel retard qu’elle pense forcément avoir loupé son vol. Lorsqu’on lui rétorque que l’avion a trois heures de retard et qu’elle parait contrariée par cette annonce qui devrait la réjouir, on comprend, que les repères de nos cohérences vont être bousculés. De même, lorsqu’elle a ce réflexe incontrôlé de retenir sa valise et de subitement décider de ne plus partir, ce sera malgré elle qu’elle se retrouvera dans la salle d’embarquement totalement et singulièrement déserte.
Là s’ouvre vraiment le film. Elle est seule, seule dans une vie où les deuils de ses parents l’ont laissée seule depuis l’enfance, seule dans le deuil non fait de son époux lui aussi décédé accidentellement. Elle est surtout sans, sans désir apparent, sans aspiration et erre dépossédée. Ce qui la meut, ce sont des habitudes, des tics de comportements, une incomplétude qui la rend telle une silhouette vide dans ses vêtements roides très boutonnés, ceinturés.
Sa solitude la définit dans les contours palpables du manque.
Son regard éteint surdétermine ce qu’elle est au début du film. Une errante.
En 6 jours , comme dans la Génèse, aux côtés de Kenzo Mizoguchi elle va se reconstruire et, à son insu, dans ce Japon aux usages déroutants, aux rituels ancestraux, progressi-vement abandonner les cendres du passé. Son sac à main tout au long du film, posera les jalons de sa tolérance progressive à ce qu’il soit porté par son hôte. Elle accepte ainsi symboliquement d’être délestée. La perte de ses repères traditionnels auxquels elle semblait très attachée, au contact d’usages autres, très différents, est une mise en abyme du deuil à réaliser.
Mais le Pays du Soleil Levant est aussi celui où les fantômes côtoient les vivants lui confie son éditeur et elle va communiquer avec le spectre de son époux défunt Antoine, rôle attribué à August Diehl. Avec un humour paisible, en décalage avec l’infinie tristesse et lassitude de Sidonie, le spectre d’Antoine souriant, détendu et plein d’humour malicieux va l’amener à la compréhension et à l’écriture d’un nouveau rôle, celui qu’elle n’a pas fait en temps voulu, celui d’une veuve.
Le sac à main objet transitionnel qu’elle oubliera- bel acte manqué parfaitement réussi - sur l’épaule de son éditeur comme un refrain, jalonne son évolution. De manière identique, les plans -voiture sur la banquette arrière des taxis ponctuent le déroulement d’une relation rédigée en 6 jours.
Au commencement, la terre était informe et vide, puis au contact de ce pays où presque tout est différent, l’héroïne se redessine. Les sublimes images d’arbres fleuris réaniment son regard, les mains se frôlent les doigts se mêlent, les corps s’embrassent chastement alors que le spectre lui ne peut ni toucher ni être touché.
La scène en plein air dans laquelle elle contemple dans une suite de tableaux une seule et même ligne d’horizon est elle aussi signifiante de la réécriture de sa vie absolument nécessaire après la mort de l’Autre.
Tout dans ce film fait écho à l’évidence.
Les plans-voiture, remarquablement filmés et étrangement interprétés rappellent ceux du film documentaire Par coeur dans lequel Isabelle Huppert butait à l’infini sur une phrase de son texte. Les répliques font penser à des échanges de personnages de théâtre, ceux de Duras. Il y a la pertinence des mots et bien au delà. L’intonation semble arriver dans l’instant puis elle est répétée à l’envi, comme un mantra.
Quand Kenzo Mizoguchi prononce Sidonie San, c’est le Japon qui sauve Sidonie.
Alors, dans cette incroyable profusion d’arbres en fleurs, les lignes de fuite défilent en alternance avec les plans visages, bordent le chemin à parcourir encore pour enfin vivre.
Etonnante encore l’absence de personnages autour d’elle et de lui, car il y a peu de gens dans les rues comme au début du film dans la salle d’embarquement. A n’en pas douter, le sujet du film, c’est elle et le Japon, mieux, elle seule et le Japon.
Surprenante et riche trouvaille que ces tableaux et gros plans des corps qui peignent la scène d’amour presqu’en creux, en érotisme effleuré. La juxtaposition des photos-tableaux est magnifiquement chaste. C’est très pictural et cela illustre parfaitement la belle pudeur des paroles de l’éditeur : « au Japon on de dit pas, j’ai envie de faire l’amour, on le fait ».
Le grain de peau des visages, est celui de la toile peinte, les répliques sont comme leurs pas au ralenti, le silence n’est pas laconique, il laisse aux mots, le souffle et aux gestes les soupirs du peu et du très juste, l’informulé.
Nadine Eid
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