Je vis avec Freddie Mercury
Théâtre des Lucioles
10 Rue du Rempart St Lazare Avignon
Avant-Première lundi 24 juin 2024
du 29 juin au 21juillet Festival Off à 22h20
Le titre de ce showman est euphémique. Thierry Margot ne vit pas avec, il vit Freddie Mercury.
Il appartient à cette communauté singulière des personnalités qui se pensent" sosies de » .
Jean-François se croit sosie de Freddie Mercury. Il est comme tous les sosies, à son insu, victime d’une déréalisation de sa propre vie. Depuis sa plus jeune enfance, car dans son cas on ne peut pas la qualifier de tendre, il n’est pas en quête de sa personnalité, il est en fuite de ce qu’il est. L’enfant maltraité s’imagine non aimable et tente tout pour obtenir l’amour qui lui est refusé. Jean-François battu par son père n’a donc de cesse que d’essayer en vain d’être apprécié par un père qui ne sait pas aimer. La mère portugaise fait ce qu’elle sait faire, des ménages et élève ses enfants. Le père lui, ne fait pas ce qu’il ne sait pas faire, éduquer avec amour ses enfants. Il ne sait pas ou très peu parler, il rugit ou aboie pour faire peur, intimider et blesser faute de savoir s’exprimer pour transmettre et assumer un rôle dont il n’a même pas idée qu’il puisse exister : être père. Sa loyauté indéfectible et ridicule à la chaine du magasin qui l’emploie est un transfert de saéparentalité impossible. Il rejoue, lui même victime d’une enfance désastreuse, ce qu’il a du subir en le dupliquant sur son enfant. Nous sommes là dans le processus malsain de la reproduction des schémas parentaux qui pourrait se répéter ad vitam aeternam si un maillon de la concaténation viciée ne venait rompre, au cours des transmissions, la fatalité de ses répétitions.
Dans son seul en scène, Thierry Margot tente de faire un récit de son histoire d’amour pour ce père absent mais présent hélas en violence verbale et physique. Sa passion pour Freddie Mercury, père sublimé du père absent est le substitut de la part manquante, celle de l’amour.
Le magnifique calage de la création lumière de Clément Colle avec les déplacements inouïs de Jean-françois, lui même parfaitement synchrone avec le son et la musique est à saluer. Ça relève de la prouesse technique et du brio du comédien performer !
Thierry Margot est un ovni du dynamisme. Il fait pâlir les qualificatifs et les tentatives pour le nommer comme un corps aérien propulsé avec lequel il jongle en équilibriste funambule confirmé, les termes sont hasardeux. Les lumières stroboscopiques elles, par contre, le définissent en corps et ses possibles. Il est dans l’in-immédiateté de lui-même. Sans coup férir, du désir inassouvi d’amour il se trouve pro-jeté hors de lui vers cet autre sosie, double adulé qui pourrait donc, peut-être, susciter l’amour du père. Mais c’est sans succès et finalement, Jean-François rédupliquera lui-même la carence d’amour et de parentalité. La scène des pères en salle d’attente de la maternité est édifiante de l’immaturité du personnage totalement inapte à endosser un rôle qu’il n’a jamais vu jouer par son père.
La mise en scène judicieuse de David Furlong conduit, dans une transe paroxystique, le héros vers une résolution moins chaotique que les ratées de sa vie maritale. Tout indique que la prise de conscience peut arriver, le parallélisme de moments forts de son parcours de vie stéréotypé et les chansons à texte font sens et l’émergence d’une autre réalité est en train de naître.
Le héros presque dérisoire dans ses échecs entrevoit les causes de son parcours de vie, et, comme pour beaucoup d’entre nous, la maturité et l’expérience des ans qui passent, font accoucher les refoulements et parler les dénis. Le flamboiement de la présence scénique de Jean-Francois questionne l’oubli de sa personnalité dans la projection de Freddie Mercury. La naissance de ses deux filles jumelles l’amène à proférer de très intéressantes considérations d’apparences oiseuses sur l’inutilité du double. Celle de sa troisième fille comme une énième réduplication malvenue et inutile prépare l’avénement de la naissance du fils, comme une consécration une réminiscence du désir jamais comblé, un cruel rappel à la transmission absente, au rôle impossible qu’il ne pourra faire sien. Le parallélisme joue à plein jusqu’à ce que, subitement, le piano, sa propre musique, les notes de son Moi profond ne viennent le tarauder pour accréditer sa propre thèse, celles des causes enfouies parce que trop douloureuses. L’amour est plus fort que son manque, comme le pardon, il dépasse et expanse l’individu hors de ses limites névrotiques.
Le retour au piano avant la lettre au père est semble-t-il une belle trouvaille, inattendue comme un apaisement. Dommage, néanmoins que la lettre prenne la voie/voix de la petite enfance, verse dans le misérabilisme de cette non-relation et prolonge sans réelle nécessité la pièce car l’hyper présence scénique de Thierry Margot avec son tonus extraordinaire dans un flot verbal parfaitement soutenu a oeuvré à mettre en exergue le jeu symbolique du sosie tout en puissance et justesse. On pourrait presque croire qu’être sosie conduit à percer à jour les arcanes de l’individu. Reste à savoir, comme pour le double, lequel est le simple et qui est le dupliqué à supposer qu’il y en est un ?
Nadine Eid
De et avecThierry Margot
Mise en scène David FURLONG
Création lumière Clément COLLE
Musiques originales de Queen
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