Nadine Eid
Le papier peint jaune
Dernière mise à jour : 23 mars
Du 13 au 14 avril 2024 àParis au théâtre La Reine Blanche
Du 29 juin au 21 juillet 2024 au Festival d’Avignon au Théâtre Transversal
Une pièce qui happe le public, qui évoque la capacité à captiver et à explorer les questionnements intérieurs conscients ou inconscients. Elle met en lumière les dynamiques de l'emprise, de la maltraitance, des souffrances subies et interroge ainsi le jeu complexe entre le bourreau et la victime, offrant une invitation à une réflexion profonde pour beaucoup d'entre nous.
Nadine Eid
Crédit photos: David Nathanson
L’Artéphile nous a conviés le 21 février à une sortie de résidence très aboutie. Il s’agit de la pièce de Charlotte Perkins GilmanLe papier peint jaune dans la traduction de Marine Boutroue et Florian Targa.
Mary, la jeune femme est seule en scène. Elle nous confie que John, son époux lui a recommandé- entendre intimer l’ordre- de se reposer après avoir diagnostiqué une dépression postpartum. Il est médecin, c’est un homme, elle est son épouse, trois bonnes raisons- une seule aurait amplement suffit- pour faire valoir, sans appel, son autorité et les décisions qui s’ensuivent.
D’emblée, tout semble posé. Le huis-clos se perçoit et le malaise se ressent.Un lit défini par des draps... non pas froissés mais mousseux, esthétiquement enroulés sur eux-mêmes au centre de la scène surdétermine cette jeune femme dans le rôle de jeune mère. On pourrait la croire statufiée et magnifiée par le drapé mais, son visage émacié et ses yeux, pas encore inquiets mais interrogateurs, contribuent à placer son monologue et ses confidences dans le ton de l’introspection.
On la sent fragile certes mais surtout hésitante, questionnant le ou les pourquoi de la nécessité à demeurer isolée et recluse pour sortir de cet état pathologique. Du reste, elle semble bien consciente que la prescription de John non seulement ne remédie pas à sa dépression traitée comme une mélancolie mais encore l’aggrave.Le drap qui lui fait comme une robe de mariée l’entrave sur ce lit de souffrance et la parturiente, par ses mots, accouche de son état, le mets en maux : la mère doit obéir à l’époux, accepter d’être réduite à ce qu’il définit comme bon, utile et nécessaire pour elle. Sa toute puissance érige l’image du père et condamne toute velléité d’émancipation. La création est nocive à sa sensibilité, ses nerfs doivent être ménagés. L’inertie, le repos forcé et l’ennui ne peuvent que très vite l’amener à l’hystérie et aux bouffées délirantes remarquablement interprétées par la comédienne... L’introspection qui fait redondance avec l’enfermement dans cette chambre fait place aux délires et aux épisodes psychotiques.Les visions en va- et-vient avec le double jeu intérieur /extérieur nous renvoie à nos propres interrogations, nos vécus, d’hommes ou de femmes.Qui détient la puissance, l’autorité et toutes les justifications inutiles conférées par des passe-droits ancestraux ? Qui se soumet et souffre, qui résiste aux abus? Nos yeux sont happés par cette bouche qui exprime avec beaucoup de justesse de ton la douleur contenue dans le lit cage. Du lien des draps, elle va tenter de s’extirper mais c’est sa jupe ceinturée par une large ceinture qui la camisole et son chemisier ôté ne permet pas la fuite.La fin de la pièce, renforce la vision de la femme enfermée dans la fuite pour échapper vainement. Elle est sublimée par une gestuelle hypnotique en parfaite harmonie avec la diction ( l’addiction) et une voix qui nous emmène là ou elle est déjà depuis le lever de rideau, dans le lieu décor qu’est l’obsession.
Le papier peint jaune n’aura été finalement qu’un prétexte à mieux s’enfermer pour s’échapper, l’aliénation mentale serait-elle alors l’ultime liberté de la privation d’être ?
Nadine Eid
Mise en scène Lætitia Poulalion/
Mathilde Levesque
Jeu Lætitia Poulalion
Scénographie Sandrine Lamblin
Création sonore Emile Tramier
Musiques Alexandre Saada
Lumières Richard Arselin
Travail corporel Leïla Gaudin
Costumes Mariannick Poulhes
Production La Patineuse