Le mystère Ophélia ou la véritable histoire de Lizzie Siddal
- Nadine Eid
- il y a 6 jours
- 4 min de lecture

Théâtre des Corps Saints
76 place des Corps Saints Avignon
Festival Off 2025 du 5 au 26 juillet à 10h05
Relâche les mardis 8,15 et 22 juillet
Durée 1h20
A la veille du Festival Off 2025, Le Mystère Ophélia ou la véritable histoire de Lizzie Siddal est une avant-première qui donne tout son sens à l’utilité des avant-premières.
Elle est une superbe et délicieuse mise en bouche et ce qui suit doit absolument être à la hauteur.
Difficile de donner la primauté à l’écriture, l’interprétation, la mise en scène ou à cet éclairage envoûtant. Tout est réussi et concourt à rapter le public.
Le peintre italien Dante Gabriel Rossetti reçoit dans son atelier Lizzie Siddal, une jeune et charmante modiste. Sa beauté singulière, l’engouement qu’elle génère bien vite chez les Préraphaélites font de ce modèle, une figure obsessionnelle de Rossetti qui souhaite en faire son modèle exclusif. Entre eux deux se tisse un lien inégal. Romain Arnaud-Kneisky incarne l’exaltation du peintre passionné. Il voit et vit comme il peint, avec fougue et impulsion. Lorsque Lizzie Siddal pénètre dans son atelier, il scrute son modèle, positionne son corps et utilise ce vivant objet à des esquisses innombrables au service du tableau qu’il souhaite parvenir à peindre. L’observation scrupuleuse, un rien maniaque de l’artiste, la confine dans ce rôle un peu réducteur mais qu’elle apprécie très vite comme plus valorisant et plus lucratif que celui de modiste. Céline Devalan attribue au personnage de Lizzie une émotion autre que celle de bien faire ce qu’on attend d’elle, des poses de modèle. Elle élabore une femme en proie à des peurs, liées à son sexe et ancrée dans une société patriarcale aux convenances bourgeoises. Lizzie s’éprend fatalement du peintre et le laisse s’enflammer pour elle dans une passion non pas feinte mais générée par l’admiration des formes et des couleurs d’un corps perçu par le désir projeté sur la toile, à dessein de réaliser un chef d’oeuvre. La pulsion scopique de Rossetti est intrinsèquement mortifère et préfigure la mort théâtrale de Lizzie comme une répétition, une première. Elle annonce comme un présage réaffirmé sa noyade dans le laudanum et le naufrage d’une relation dans laquelle les deux protagonistes semblent dupes, sans l’être, et sombrent victimes de leurs carcans.
Pour le préraphaélite en quête de la pureté et de la grâce, ce modèle, son modèle, est fabuleux. Pressentie comme sa muse, la passion picturale du peintre la transmue en Graal. Avec sa longue chevelure rousse, sa pâleur rehaussée par des yeux clairs, une robe moirée au tissu damassé dans un vert profond, le modèle est somptueux mais il lui échappe. Millais la peindra sans attendre et devancera Rossetti. Ses pairs comme la postérité reconnaitra dans Ophélia de Millais, un tableau mythique, éminemment shakespearien. Rossetti, en jeune homme fantasque et assujetti à la rente versée par ses parents, se consacre exclusivement à son art et surtout à l’oeuvre à créer pour devenir illustre et reconnu. Poète à ses heures, il offrira même à son modèle, son recueil de poèmes qui aura une bien singulière destinée …
La mise en scène est tirée au cordeau. Elle est non seulement au service de l’efficacité mais elle sert aussi à l’ambiance intimiste et le décor de cet atelier confère aux personnages une densité incroyable, étonnamment romantique et singulièrement moderne. Les scènes sont intenses, les fluctuations dans les rôles des deux personnages les rendent plus riches, plus complexes et partant, plus difficilement compréhensibles en rôles simples. Lizzie comme Rossetti sont si pluriels que le temps s’étire. La charge émotionnelle de leurs textes est probablement responsable de cette durée narrative qui s’enchâsse dans ce que nous confie l’auteur, Céline Devalan au début et à la fin.
La scène est partagée dans sa largeur par un rideau de fil qui laisse aux comédiens le choix de lieux à composer, des sorties et des entrées à estomper. Les déplacements des comédiens sont évanescents au travers de ces fils qui ondoient et rétablissent des scènes ou des tableaux en recomposition et décomposition. Ce rideau de fil sur lesquels sont projetés des extraits de scènes théâtrales ou le tableau de Millais Ophélia, est en lui-même poétique ; il transmue leur lien, en accroît les divergences.
Les strates des thèmes abordées, exploitent une peinture sociologique sans concession. En 1850, à Londres, être modèle, n’est pas bienséant, c’est s’exposer à être perçue comme une personne de moeurs légères. Celle qui ose s’élever à devenir peintre et à exploiter son talent est une dévergondée et celle qui vit sous le même toit que celui qu’elle aime n’est pas à épouser. En quelle que sorte les dès en sont jetés pour Lizzie car ils sont pipés.
Ce qui perdure néanmoins du début au final, en constance, c’est cette subtile lumière. Elle sublime la beauté des deux comédiens, celle des personnages que Céline Devalan et Arnaud-Kneisky interprètent et accueille une extraordinaire bande son où même les craquements d’un vieux film font sens. Antoine Gallo signe là avec l’écriture de Céline Devalan et le talent remarquable des comédiens Romain Arnaud-Kneisky et Céline Devalan un succès assuré.
Bravo !
Nadine Eid
À VOIR absolument !
Écriture et mise en scène Céline Devalan
Avec Romain Arnaud Kneisky et Céline Devalan
Collaboration artistique Caroline Darnay
Création lumière et vidéo Antoine le Gallo
Contact presse Denis sublet- Suti Agency
Complètement en acccord avec vos propos, cette pièce est un bijou, à voir absolument !