Un sale métier
Le 1er octobre 2024 à 20h30 à La Manutention… La fête à Roger.
Pascal Catheland
France 2014
Utopia
avec Roger et son cinéma…
Il y a des voleurs qui remettent tout en ordre dans les maisons qu’ils visitent. Moi, jamais. Je fais un sale métier, c’est vrai ; mais j’ai une excuse : je le fais salement. »
Le Voleur Georges Darien
Le 1er octobre 2024 à 20h30 à La Manutention… La fête à Roger.
C’est à cette date que Roger s’est fait la belle !
Depuis le 1er septembre 1992, Roger est projectionniste à Utopia.
Connu et, à tout le moins, aperçu par tous les habitués du lieu, il en est un des personnages.
Qu’il en soit celui unique du film de Pascal Catheland, est en soi explicite.
Roger’s pour les intimes ou Roger c’est l’histoire, la mise en paroles, la narration faite homme et sa truculence.
Pour cette ultime échappée, la présence des spectateurs avertis qui ont prudemment réservé leur place, les amis, les collègues, les intimes de Roger, les piliers d’Utopia, ceux qui fatalement nous ont vu grandir et qu’on a vu vieillir au fil de nos fréquentations assidues et addictives de ce lieu- étonnamment élu QG de parents à enfants- tous ont répondu à l’appel du rassemblement autour de Roger à La Manutention.
Pascal Catheland a travaillé à Utopia puis s’en est allé caméra au poing, filmer le réel dit la gazette, entendons, filmer sa réalité comme tout réalisateur conscient de l’alchimie qui s’opère entre ce qui est filmé et celui qui filme.
Un sale métier est le fruit de cette transmutation. Le projet initial était de réaliser un documentaire « sur le passage au numérique », Roger aurait été en quelque sorte un figurant dans le décor des projecteurs et des bobines mis au rebut par une modernité laissant poindre l’ennui d’un métier décervelé par l’ère du numérique. Les débuts du tournage allèrent dans cette direction et Roger assistaient donc à l’holocauste des machines et l’effacement de l’homme supplanté par les ordinateurs. Très vite, Pascal Catheland modifie son projet, exit le documentaire, le sujet ce sera Roger, sa vie, son lien au cinéma, sa substance nourricière et passionnelle.
La verve de Roger est intarissable, dire, parler c’est respirer, être. Comme il sait son incapacité à dire non, bien qu’inquiet de l’enjeu, ne parvenant pas à dissuader son ami absolument convaincu, il ne peut refuser et se trouve embarqué dans l’aventure. Il va falloir qu’il réalise que le sujet du film, c’est Roger Loukitch. A partir de là, pas de direction d’acteur autre que celle de « Tu parles, je filme… je veux que tu te lâches …que tu racontes ton parcours… ».
Il n‘en fallait pas d’avantage si ce n’est l’extrême étonnement de Roger qui n’en revient pas d’être pour les autres, celui qu’il est.
Il est presque tentant de dire que si sa vie n’a, selon lui, rien d’extraordinaire, le sujet du film ne concerne pas celle de Roger Loukitch qui n’a de singularité réelle que de lui appartenir et donc, de la lui rendre unique et précieuse. Non, le film concerne l’homme qu’il est et plus particulièrement le personnage qu’il devient sous l’oeil de la caméra portée par Pascal Catheland
Lorsque Roger parle, c’est un monde qui s’ouvre, le sien. Nous l’écoutons comme nous aimons écouter les enfants car, c’est pour de vrai. Dans ses relations, le réel rejoint la fiction et a toujours la saveur d’un regard candide émerveillé. Même les situations les plus banales prennent avec lui des couleurs parées d’un exotisme discret et élégant auquel on adhère sans crainte. La véracité est cocasse et l’étrangeté du charme renvoie à l’inconscience d’en être l’auteur.
En guise de mise en bouche, une rapide rétrospective d’images éminemment émouvantes, d’Utopia Galante et des photos d’archives. Roger accrochait déjà la lumière et les mimiques comme les expressions, révélaient son regard un peu au loin dans un univers pas vraiment ancré dans ce qui l’entourait. Au micro, ses commentaires et ses apostrophes à ceux qui, présents dans la salle, découvraient ou revoyaient ces images souvenirs, introduisirent très intensément la projection du film.
A contrario de l’exergue, Pascal Catheland a su mettre de l’ordre dans ce qui aurait pu partir tout azimut tant Roger est foisonnant dans ses prises de paroles. Son univers est aussi un peu celui des contes. Il y a du merveilleux, du rare, du précieux et ce qu’il dit des cassettes vidéos, notamment du classement ardu des siennes nous montre son âme d’enfant passionné et déchiré par des choix cornéliens… Faut-il parfois les mettre par auteur, genre, acteur culte ? Opter pour des exemplaires multiples chinés à des prix à rougir pourrait sembler une solution mais accentue la difficulté de les rendre accessibles par manque de place… Roger est parti et nous emmène avec nos sauf-conduits dans son univers un peu barré, carrément passionnel.
La scène du rasage qui pourrait sembler longue, nous le restitue dans une contingence de la trivialité du quotidien. Le personnage est présent, va et vient dans une réalité mais l’homme est uni, comme créé par le cinéma. Les films et leurs projections qui font d’eux des univers offerts, livrés à l’intimité d’un public, sont, avec lui, non loin, tout prêts à surgir, à être évoqués et semblent l’habiter.
Le film très intimiste, invite à suivre Roger, à être un peu plus intrusifs pour tenter de déceler non pas ce que son regard voit mais de tenter de déceler comment son regard et sa sensibilité constituent une porte ouverte vers sa vie.
Roger debout dans la salle de cinéma, prend appui sur deux fauteuils et fixe l’écran avec intensité. Autour de lui, les sièges sont vides et le regard porte sur ce qui n’apparait pas . Ce plan renvoie à nos interrogations sans réponse, car même si Roger parle volontiers, sa verve et sa faconde ne parviennent pas à répondre à ce qui reste énigmatique. Finalement, le charme et l’élégance opèrent, Roger nous convie dans un univers mais comme lorsque nous captons le regard d’un tout jeune enfant, c’est le mystère d’un regard lisse de toute expérience qui nous est renvoyé et nous bouleverse.
Le regard de Roger, déplace nos codes. Il est l’expression d’une candeur possible de rigueur dans le lieu de ses fantasmes et des fictions souvent plus réelles que la routine d’une vie subie et non vécue.
Apres la projection, Roger s’est prêté aux questions mais surtout à la confidence d’anecdotes savoureuses. L’écouter narrer la scène de l’accident à Gadagne avec un véhicule surchargé de gazettes à tel point qu’il en perdit le contrôle et se retrouva, après avoir traversé le mur de la propriété, dans le jardin du propriétaire ébahi, est en lui même un moment phare de la soirée. Dans la salle, parmi les personnes interpellées par Roger , le complice, Patrick Guivarch qui, sans crainte de la métaphore filée s‘était fait la belle lui aussi un 1er octobre mais en 2022, compléta par des détails truculents, les faits divers de Roger. L’inénarrable poursuite du voleur de la caisse d’Utopia République, avec la planque derrière les grands bacs à fleurs, supplanta la scène des gazettes responsables de l’accident, livrées à domicile en fracturant le mur de la maison. La gestuelle de Roger mimant la course du tireur non résolu à riposter et prêt à abandonner la caisse volée pour que cesse la poursuite, nous montra à quel point, si besoin en était, son art de conteur, lui accordait la confirmation de notre cordiale adhésion.
Le film nous présente avec une belle pudeur et une simplicité d’effet, l’intimité de Roger qui s’occupe des pellicules et des machines, répare des fauteuils comme il prend soin de son rasage et parle de sa vie qui n’a pas toujours était un long fleuve paisible d’obser-
vance des lois de la normalité. L’homme indissociable, vous l’aurez compris, de son personnage incarné au quotidien est aussi celui qui salue le présent et l’avenir à l’instar de son passé et souhaite entre autre, aider ses potes et faire du bien autour de lui. Nous ne pouvons que l’enjoindre à poursuivre à être ce qu’il est, attendu que son regard nous lave de toute morosité ou de la triste banalité du quotidien parfois réduit à la conformité accablante.
Pour clore en ouvrant les vannes des échanges au gré des rencontres entre les personnes encore présentes, la soirée se poursuivit sur la terrasse du Café Roma avec un savoureux buffet.
Félicitations et remerciements à toute la fidèle équipe pour le déroulement et la réussite de cette soirée consacrée à Roger.
Nadine Eid
Scénario, image et son Pascal Catheland
Montage Lou Vercelletto
Production Les films de la caravane
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