Rallumer les lucioles
L’Optimist Théâtre
50 Rue Guillaume Puy 84000 Avignon
le 31 mai 2024 puis du 29 juin au 21 juillet Festival OFF
Photos:Nadine Eid
Rallumer les lucioles, c’est plus qu’un programme ou une folle ambition. C’est surtout pour Lily, une nécessité incontournable pour s’affranchir du fatum de ses origines.
Son père est celui qui peut s’oublier à force d’être absent dans une vie non investie assis devant son poste de TV, adepte d’une dépression chronique consentie. Sa mère, c’est plus compliqué, comme souvent pour ne pas dire toujours. Elle est la matrice, la grande absente, la formidable présence de la pièce. En effet, Lily enfant partage la douce folie, l’univers puéril et magique d’une mère fantasque bloquée dans l’enfance. Compagne des jeux de Lily, elle l’oublie dans un lieu désaffecté toute une nuit et se retrouve destituée de son autorité parentale. C’est là que se trouve le ferment de sa quête, du moins en apparence. Il va s’agir de réfléchir et de débusquer où se situe la normalité, ce qui est conventionnel et considéré par la communauté comme comportements possibles ou adaptés.
Le modèle de Lily, c’est celui d’une femme demeurée dans le lieu magique de l’enfance. Sa mère lui a transmis son incroyable puissance de vie, sa lumière, son feu, la joie d’être. En fait, elle lui a légué l’essentiel.
Elle a compris que le cheminement pour aller vers le monde des adultes ne lui a pas été indiqué. Savoir lire n’est pas suffisant, encore faut- il qu’existent des supports à sa lecture, des indications, des panneaux.
Il n’y a pas de mode d’emploi, d’explications même succinctes.
Elle n’a pas pu dissocier les univers car le modèle du monde des adultes vers lequel elle doit tendre est celui que sa mère lui a donné à voir. Or ce monde là, pas toujours simple car pas toujours protecteur pour la jeune enfant a toutefois été le terrain fabuleux, le terreau prolifique d’un imaginaire sans tabou et sans contrainte.
On aurait vraiment aimé que Lily nous permette d’en voir davantage, nous laisse connaître un peu plus sa maman fabuleuse, différente certes des autres mamans, mais avec un prolongement aussi dans l’exploitation de ce lien affectif. Lily raconte sa différence et toutes les anecdotes relatées soulignent l’impossible adhésion aux comportements attendus par la société normo-pensante.
Sandra Fabri a choisi un sujet émouvant et ambitieux qui questionne nos chances et nos possibles en fonction de nos origines. Elle a opté pour tout ce qui évite le pathos, le grave et son choix est judicieux.
La mise en scène de Brunon Banon la place au centre de la scène, seule face à un tableau vide sur lequel elle ne saura quoi peindre. Lorsqu’elle tente de débusquer la normalité, l’inconnu normatif qui lui permettait d’être acceptée, elle se heurte à l’impossibilité de franchir le Rubicon.
La loyauté de Lily à la superbe image de cette maman compagne de jeu, partante pour toutes les aventures y compris et surtout les plus folles, l’empêche quels que soient ses pas- chaussures plates ou rolliers inutiles - de marcher droit. Cette fidélité est symbolisée par la chaise rouge, assise conservée toute au long de sa quête, couleur du lien du sang indéfectible.
Sandra Fabri avec une totale liberté d’expression sait nous parler un langage proche de la poésie par un décalage dans l’imaginaire où perdurent la fraîcheur des paroles sans filtres et surtout la joie d’exister.
Lily saura rallumer les lucioles pour les offrir, à peine cueillies, à celle qui lui a permis de les découvrir.
Nadine Eid
de et avec sandra fabri
mise en scène Brunon Banon
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