Les enfants du diable
Théâtre de l’Oriflamme
6 rue de l’Oriflamme Avignon
17/18 avril 2024
puis au Festival OFF du 3 au 21 juillet à 11h30
crédit photos: Fanny Inesta
Les premières photos d’archives projetées sur scène nous alertent.
Un passé dérangeant et immédiatement identifiable ressurgit.
L’atrocité innommable qu’il faut pourtant formuler c’est celle de tous ces enfants et de toutes ces familles sacrifiées par la folle politique démographique de Nicolae Ceausescu. Ces enfants sont baptisés enfants du Diable. Le diable pourtant était bien présent sur la scène internationale et de nombreux chefs d’états lui serrèrent la main ou l’embrassèrent. Les étudiants roumains en France tentèrent en vain, avec Amnesty International, d’alerter le monde sur les crimes de leur bourreau et sur la complicité de son épouse Elena.
Génocide et chaos.
Le choix d’un tel sujet est avant tout courageux, s’attacher à lui donner corps dans la fratrie quasi détruite d’un frère et d’une soeur séparés par cette politique criminelle c’est assurément assumer dans le texte comme dans le jeu, la violence des émotions sous le phare de la douleur. Pire, réunir sur la scène Niki et Veronica le jour des funérailles de Mirela, leur jeune soeur, autiste victime du calvaire enduré, infligé aux enfants dits irrécupérables situe la pièce dans un temps de tragédie.
La mise en scène de Patrick Zard’ donne vie à l’absente et souligne en creux, par le rocking chair vide l’omniprésence de son manque. Une belle trouvaille que celle d’y avoir placé sur le dossier le petit châle ou le grand foulard de Mirela car elle donne place à ce troisième personnage. « Mirela savait toujours repérer dans les vêtements des Humanitaires la petite robe qui lui conviendrait… ».
Dans le face à face du frère et de la soeur, ce qui se joue c’est d’évoquer pour faire exister cette petite soeur défunte. Passés les premiers moments où on règle des comptes qui n’en sont pas, oubliés. Elle n‘a pas abandonné sa famille en étant adoptée mais a simplement sauvé sa peau en allant vers la vie, avec courage et instinct : les deux pommes véreuses offertes à ses parents adoptifs illustrent superbement la conscience de cette volonté de vivre. Quant à lui, il a fait que ce qu’il ne pouvait pas ne pas faire, s’occuper de sa petite soeur autiste.
C’est lourd de culpabilité prononcée, analysée et décortiquée par Veronica qui peu à peu, rompt la perception simpliste de son frère et l’amène au creux de ses bras vers les retrouvailles et vers sa propre paix. Tous deux sont victimes du même bourreau, l’absente et sa sensibilité les réunit. Mirela donne vie, son rocking chair continue son balancement celui qui n’est pas sans rappeler celui des enfants autistes, bercement à leur douleur qui les absente d’elle.
A noter à ce sujet le fondu des images d’archives du début dans l’éclairage du plateau sur le balancement du fauteuil.
L’écriture de Clémence Baron est adaptée au sujet, elle est forte, incisive car au service du réveil de notre conscience. A n’en pas douter, son texte est documenté, et porte la signature des documents et d’archives bien digérés. Ce qui est révélé n’est qu’une partie de la carène et nous pouvons saluer sa discrétion à n’en dire que cela, d’autant que Mirela est …
L’innommable de ce pan d’histoire trouve une résonance audible dans un déchirement familial. Niki (Antoine Cafaro)et Veronica (Clémence Baron)se jettent au visage un amour fraternel et leurs dissensions sont le bouc émissaire de leur vécu d’enfants du Diable. On doit saluer l’énergie des deux comédiens qui maintiennent le clivage de leur corps contenu au début par la séparation durant vingt années d’éloignement. Niki roide dans sa rancoeur et sa solitude, Veronica gênée par la culpabilité de les avoir abandonnés en voulant ou plutôt en devant survivre. Puis, le jeu travaille leurs corps, Veronica virevolte, occupe la scène et, par son rire, ses pas de danse et l’alcool, elle délace le carcan du ressentiment de son frère et ainsi le libère. Le chant lénifiant de Veronica lui apporte la résilience. Mieux, tous les deux parviennent à imiter le couple infernal et la scène où les Ceausescu sont singés montre que la dérision peut expurger l’innommable. Révéler ainsi les ambitions et les projets du Conducator, dans ce qu’ils ont de fou, de délirant, de monstrueux était aussi une belle trouvaille.
La salle a amplement applaudi et, comme à l’accoutumée, tous ont pu ensuite échanger dans le cadre charmant et accueillant de l’Oriflamme.
Nadine Eid
Les Enfants du Diable
de Clémence Baron
avec Clémence Baron et Antoine Cafaro
Mise en scène Patrick Zard’
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