J'ai raté ma vie de tapin en voulant faire l'acteur
Dernière mise à jour : 6 avr.
Mardi 2 avril 19h30
et du 29 juin au 21 juillet 2024à 13h durant le Festival Off
Au Théâtre La Luna
1 rue Séverine 84000 Avignon
photos : Stéphane Baquet
Certes il s’agit de réécrire un spectacle à partir de Prostitutions,
récit ô combien intime de Pierre Notte. Qui plus est, ce spectacle est lui même le fruit d’une re-création. Le choix judicieux de confier ce rôle d’homme à Cécile Fleury et à son corps androgyne souligne le parti pris de dépasser les clivages du genre. Dans un étourdissant ballet en circularité de passages multiples autour d’une table d’autopsie et un paravent -qui donne à voir tout autant que les filets de l’Orestie de Castellucci-,la comédienne, dit et interprète ce que Pierre Notte, l’auteur a écrit. En quelque sorte, il s’agit du tragique pitoyable, d’une Comédie organique, triste à mourir. C’est aussi pour cela qu’il faut mourir et ensevelir le rôle.
Quel titre à la fois aisément justifiable et pourtant si singulier !
Interpréter un rôle quel qu’il soit c’est basiquemment se prêter, être pour quelqu’un d’autre.
On peut, « in carne », incarner un personnage mais interpréter c’est l’inverse, c’est quand le personnage à incarner parvient à être le personnage devenu en chair par le rôle interprété, une réécriture, une création de créature dépecée, mis en pièces pour et par le jeu de la scène.
Faire la pute ou « le put » c’est se prêter et rien d’autre, pour de l’argent et beaucoup plus peut être mais là, on touche à l’inconscient, aux béances de nos enfances blêmes, aux rougeoiements glauques de celles sacrifiées sur l’autel de désirs puissamment primaires. Pour exemple, le plaid négligemment jeté sur les genoux pour cacher tout en révélant la masturbation d’une mère à sa jeune enfant. Pour preuve, il y a des dommages collatéraux.
On peut y laisser sa peau, se dépecer, ôter ses oripeaux de travestissements, quitter la robe longue de dentelle rouge pour une simple nuisette blanche sur le string couleur de sang, mais qu’importe. Derrière le voile/ paravent du décor ou plus vraiment écran des tentatives de quitter les rôles successifs, la peau comme un carcan, la vie assignée par le fatum des lignées, le tragique et ses propres assignations, le carquois de la condition sociale, les scories de nos origines quelles qu’elles soient, tout rattrape le personnage et le corps en souffrance d’esprit finit par chuter sous la rame de métro avec son chapeau d’auteur identifié.
Alors l’image traumatique du corps en chute répétée en refrain fantomatique ne préfigure plus le suicide comme une fin obligée.
Le corps prostitué est un cilice en soi.
Il est interprété dans le jeu sans pause, véritable marathon de Cécile Fleury qui, derrière le voile du paravent, nous livre une nudité révélant l’être dépossédé de ce corps acheté comme un produit. Son corps parle mais sans coïncider vraiment avec les mots débités tels des expiations nécessaires et irrépressibles, dans une mise à distance salvatrice.
Il y a, en lui, comme une formulation clinique du vécu. La mise en mots de la prostitution est l’expression de la souffrance, le désir est pitoyable, la jouissance peu intense et brève…
Cette table, surface plane au-devant du rideau/paravent lui sert d’agrès et apparait d’emblée comme une table de chirurgie légale. Le texte de Pierre Notte dissèque crûment le tapin. Les néons sont sans nulle concession, et pourtant, la performance de cette/cet androgyne est remarquable.
Le rythme plus que soutenu est maintenu jusqu’à la fin. La diction précipitée est totalement audible, compréhensible et répond à la volonté du personnage de dire, dire tout, d’illustrer par de nombreux exemples pour être entendu. Le corps de la comédienne jongle avec les mots car le texte est très écrit et doit être dit, c’est là son rôle.
Celui de Pierre Notte nomme, renseigne au besoin et dénonce ainsi, sans insistance, la prostitution. Mieux, il écrit ce que c’est que de se prostituer.
Pour ce faire, les termes crus comme des étiquettes de produits incontournables et le champ sémantique de la prostitution est celui de la chair morte, celle qui ne fait pas fantasmer. On est à des lieues du désir, du plaisir, de la jouissance.
La prostitution est un hypermarché glauque où le consommateur triste et pauvre sortira malheureux et malade de lui-même et des autres. Le consommateur comme le produit renvoient à l’insatisfaction. Les mouvements du corps révélé, si peu dissimulé derrière le voile ramène à l’aspect pathétique du physique ; il ne s’agit que de fugaces et tristes pénétrations mais dépourvues de fantasme ou de désir et totalement d’orgasmes voire de plaisirs.
Dès lors on peut comprendre les mutilations, les scarifications de ce même corps qui ne peut exulter.
La dislocation des mouvements pourtant enchaînés suggèrent l’incongruité de la mise en oeuvre et du résultat. Les suggestions des plaisirs dans la souffrance tombent à point nommé sans pour autant convaincre. Les jeux amoureux des Libertins ou des Sado-masos s’ils peuvent confiner aux plaisirs et à la jouissance ne souffrent aucune comparaison avec l’espace de la prostitution.
La prostitution refuse la joie car elle est sans partage, sans joie, sans saveur.
Et finalement sans réfléchir et surtout … en y pensant, être comédien ou être acteur, relève du même sacerdoce, se prêter….pour de l’argent. C’est un triste et banal jeu de dupes.
Quant au final, plus que la force exponentielle des deux ou trois avant-dernières minutes, un peu trop axées sur le tragique on retiendra le superbe plan photographique du corps en V comme en ciseaux, en quasi lévitation. Sculptural… il ramène peut-être à un point de vue autre, à une réflexion entre dimension scopique ou perception ressentie. La synergie des ressemblances interroge l’espace de l’auteur et la kinesthésie du corps nous échappe, les signifiances s’écrivent, sont mises en mots.
Saluons l’auteur.
Nadine Eid
Présenté par La Compagnie du Refuge
d’après Prostitutions de Pierre Notte
adapté par Pierre Notte, Yves Penay et Cécile Fleury
mis en scène par Yves Penay,
interprété par Cécile Fleury
Aux lumières Elias Attig
A la musique olivier Rabet
Dans un décor de Laurent Tésio.
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