Celle qui ne dit pas a dit
Théâtre des Lila’s
8 rue Londe Avignon
du 2 au 21 juillet 2024 à 14h05
photos: N. Eid
Les trois femmes sur le plateau ont toutes trois un problème avec le dire et elles le savent. C’est peut être précisément là, du reste, que réside la clefs de la transformation-déplacement de leurs trois problèmes. Il y a la meneuse, celle qui dit, Sarah Pèpe qui- soi-dit en passant est aussi l’auteur de la pièce-puis Sonia Georges, celle qui dit après et enfin Mayte Perea Lopez qui ne dit pas.
Celle qui est vouée au mutisme, ne sait pas et ne peut pas dire va bouleverser l’ordre établi, jusqu’aux rôles même, impartis à chacune d’entre elles. Celle qui se tait et ne peut pas dire va dire et à partir de cette acte de dire qui équivaut à un faire, les personnages se réécrivent sous les yeux amusés, éberlués parfois d’un public conquis et consentant suspendu aux cocasseries pleines de vérités et de sagesse de ces variations à l’infini sur le Dire. C’est jouissif, drôle, enlevé et sacrément bien écrit !
Le jeu des trois comédiennes est à la hauteur de cette écriture et sert admirablement le texte. Toutes trois incarnent la typologie de leur rôle. Une fois posée, elles vont, par l’élément déclencheur du Dire au patron de celle qui ne dit pas, moduler les rapports institués et faire évoluer ces typologies. Pour exemple, celle qui ne dit pas va s’acheminer en évoluant avec les autres, vers le personnage qui devient le porte-parole de ses collègues de travail, celle qui dira en lieu et place des autres. La mise en scène de Sarah Pèpe est magistrale. Elle pianote les modulations de la communication verbale pour conférer aux mots et aux expressions figées ou pas une souplesse d’interprétations multiples. La polysémie joue à plein et les métaphores filées tissent une écriture qui ne laisse aucun répit aux comédiennes en proie aux prolongements inattendus de leur rôles en mutation. Une autre pièce s’écrit avec des rôles en pleine transformation. Les costumes jusque dans la couleur des blouses harmonisées avec les mitaines, les foulards tours de cou et les turbans, en lien avec la carnation des comédiennes participent à cette métamorphose. Elles s’extirpent lentement de l’enserrement du foulard, de celui du turban et abandonnent sur un plan arrêté très cinématographique leurs gestes d’ouvrières aux corps exténués par les cadences infernales imposées et subies..
La remise en cause et en questionnement de la distribution des rôles renvoient à une fine étude de la psychologie des règles et des modalités de la communication au sein du trio. C’est tissé et élaboré de main experte. Le public est suspendu au rythme enjoué et parfaitement maintenu d’un bout à l’autre de l’interprétation des trois comédiennes.
Celle qui ne dit pas a dit formule l’espoir lié aux capacités de la parole et confère à ses usagers celui de devenir ceux et celles qu’ils rêvent d’être.
Coup de coeur 2023 pérennisé en 2024.
A voir ou revoir.
Nadine Eid
de Sarah Pèpe
mise en scène Sarah Pèpe
interprétation Sonia Georges, Sarah Pèpe, Mayte Perea Lopez
univers sonore Morgane Klein
chorégraphies Malvina Servadei
production Cie Vent debout
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