4.48 Psychose
« Un très long silence - Mais vous avez des amis. Un long silence - Vous avez beaucoup d’amis. Qu’offrez-vous à vos amis pour qu’ils soient un appui ? »
Le texte de Sarah Kane est remarquable, ce qu'en fait Cécile Fleury est époustouflant !
Certes, elle est entourée et, la mise en scène minutieuse d’yves Penay, les lumières d’Elias Attig qui lui collent à la peau et le décor noir angulé de Laurent Tesio parachèvent la très haute qualité de la performance de Cécile Fleury.
Ce qui est percutant c’est la certitude et la clarté qui émane dans sa formulation. Cette femme vêtue de blanc est une jeune femme psychotique. Dans un monologue poétique entrecoupé de moments de dialogues avec un psychiatre anonyme, elle tente d’exprimer les raisons de son suicide programmé à 4h48.
Sarah Kane est une dramaturge britannique. Le 20 février 1999 elle se suicide à l’âge de 28 ans. Elle laisse cinq pièces dont la dernière 4.48 Psychose publiée à titre posthume.
Tout ce qui est dit est pensé. L’écriture est une injonction à signifier, une promesse de fidélité à l’être qu’elle n’a jamais rencontré mais qu’elle sait exister quelque part en un lieu de fouilles qui lui appartient, son esprit. Jusqu’alors elle a vainement exploré ce chantier, labouré, creusé, aidée par les psychiatres et leurs médicaments aux dénominations chimiques exotiques mais inutiles comme des épices éventées sans saveur autre que celle de leurs noms. Inutiles tous comme tous les traitements administrés ou expérimentés parfois sans trop y croire et de manière empirique mais on ne pourra pas lui reprocher d’avoir essayé et obéi.
L’origine de ce destin tragique n’est pas l’objet de sa recherche. Ce qu’elle souhaite avant 4h48 c’est relater cette souffrance devenue impossible parce que, l’avenir sera insupportable, elle ne s’est pas rencontrée et sait qu’elle ne se rencontrera pas. La mort
est omniprésente, elle pourrait presque faire office de coryphée tant elle flirte en collusion avec la vie. « S’il vous plait, levez le rideau » révèle l’enjeu tragique, l’absolu nécessité d’être vue, entendre aimée. Pour cela elle doit disparaître car l’espace dans lequel elle se trouve est un lieu impossible, inconciliable avec sa psyché. Ce n’est pas elle, et le tragique réside dans la conscience aiguë qu’elle a de cet espace et de ses frontières. Notre héroïne est puissamment consciente de la toponymie de ses champs d’investigation ; Sarah kane aurait-elle eu connaissance de son sinthome qui la pousserait à mourir en rencontrant les causes de son impossibilité à vivre ?
Difficile pour le public de ne pas céder à la fascination sidérante du personnage. Il y a des acmés qui indiquent l’inéluctable. Les déplacements fiévreux, bruyants, violents du mobilier noir, succinct comme les murs répétés scandent l’heure qui s’approche. D’ici là, la ritournelle des mots jetés en pâture à son public dessine du vide au creux de son discours « brille scintille cingle brûle tord serre effleure cingle brille scintille cogne » et y dépose l’indicible : l’horreur de son non-être, sa souffrance absolue.
La fidélité à l’écriture de Sarah Kane est un hommage obligé. L’interprétation de Cécile Fleury a parfaitement compris son texte et a su exploiter les méandres de sa pensée. Les moments de danse comme des exutoires aux affres saisissants de la pleine conscience de sa dépossession, exalte la détermination à l’acte comme un fait concerté lui aussi puissamment pensé. La mise en scène d’Yves Penay ne laisse rien au fortuit, tout est nécessaire et fait sens. Laurent Tesio a créé un décor dans lequel le cercle est ôté, sa symbolique qui concilie la matière et l’esprit ne peut être représentée. Le rectangle présent dans le mobilier noir, banc, table et chaise confère la puissance, la force et le dynamisme. Le noir est un écrin symbolique à la comédienne en blanc qui la fait diaphane, comme sa blondeur fragile. Sa chevelure même devient un accessoire improvisé mais efficace, elle dissimule les réponses difficilement accouchées au psychiatre. Les paroles comme son corps, comme les cris, comme le nacré du rideau blanc sont cernées, épousées par les lumières d’Elias Attig qui a su tirer profit des ombres portées, véritables couperets, verdicts de l’arrêt auto-prononcé.
Quand l’originalité du sujet, l’écriture inédite et sublime de Sarah kane rencontrent une telle cohésion d’exigence artistique dans la recherche et le travail, alors la pépite est de taille.
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Nadine Eid
de Sarah Kane
avec Cécile Fleury
traduction Evelyne Pieiller
mise en scène Yves Penay
lumières Elias Attig
décor Laurent Tesio
La Compagnie du Refuge
contact presse Denis Sublet - Suty Agency
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